C’est tranquillement sur le balcon de Cathy et Titou, le regard qui cherche l’inspiration dans les cerfs-volants en sacs plastiques des gamins du quartier d’en bas, que je prends le temps de raconter la suite du voyage.

Avant de partir pour les Tuamotu, petit détour à la bibliothèque pour étudier quelques mots de vocabulaire propres à la géographie d’ici. Tous ces mots dont on comprend l’idée globale mais qu’on peine parfois à définir précisément. Et bien maintenant, nous savons exactement de quoi nous parlons : atoll, motu, île, récif, lagon, passe. Nous sommes prêts. Nous rejoignons le Cobia 3, un cargo destiné au transport de marchandises principalement dans les Tuamotu, l’archipel dont Fakarava fait partie. Toutes les caisses et les containers ne sont pas encore chargés quand nous arrivons. Ça s’agite sur le quai. Je constaterai tout au long du voyage que le boulot des matelots-caristes-manutentionnaires est sacrément physique et difficile. Eux partent le lundi après-midi et reviennent le samedi matin chaque semaine avec des étapes qui les tiennent bien occupés. Chapeau les gars ! Nous sommes gentiment accueillis (non sans une invitation à rejoindre sa cabine si je m’ennuie hahaha !) par Papa Georges, surnommé aussi le Marquisien.

Dans le bateau, d’autres passagères bien marrantes. Elles sont missionnaires et se rendent à Arutua pour un séminaire. Je sympathise avec l’une d’entre elles qui s’appelle Priscilla. Elle est sur le cargo avec sa fille Marie-Chanel. C’est le moment de dire au revoir aux maris qui restent sur le quai. Priscilla, avec son sourire adorable et ses seulement 30 printemps a déjà beaucoup de choses à raconter. Elle est la première femme polynésienne à être devenue bouchère professionnelle. Puis, il y a seulement quelques années, elle décide de changer radicalement. Les horaires de l’abattoir étaient trop prenants pour qu’elle puisse élever et profiter de sa fille. Elle choisit de faire usage de son don pour les langues. Elle parle en effet 9 dialectes polynésiens en plus du français, de l’anglais et de l’espagnol. C’est son grand-père, traducteur qui lui a appris les dialectes locaux dès l’enfance. Elle s’était toujours dit que ça ne lui servirait à rien. Jusqu’au moment où elle décide de les enseigner maintenant chez elle. C’est la deuxième fois de sa vie qu’elle voyage en cargo, et cette fois avec sa fille. Elle espère que le voyage les rapprochera et fera aussi grandir sa fille. Elle est très enthousiaste !

Les couchettes du cargo sont rustiques mais très confortables. Je les apprécie d’autant plus lorsque je dois rester couchée de longues heures alors que la mer est particulièrement agitée. Le Cobia 3 est un cargo assez petit. 30° à gauche, 30° à droite… j’ai la nausée, et nous manquons parfois d’être éjectés de la couchette tellement ça tangue. Ça se calmera plus tard lorsque nous serons dans l’archipel. A cause de cette mer agitée, le capitaine avait presque renoncé à faire escale à Kaukura comme c’était prévu. Mais comme nos copines missionnaires, exceptée Priscilla, devaient y descendre, et que la mer s’est finalement calmée, nous y voilà.

Kaukura est un petit atoll qui ne dispose pas de quai adapté aux cargos. Le Cobia 3 reste amarré à la bouée dans le lagon et le déchargement se fait grâce à une barge, sorte de grand radeau à moteurs puissants. Nous profitons d’un aller-retour entre le bateau et le quai. De nombreux habitants sont là. Ils attendent depuis un moment le cargo hebdomadaire dont l’heure d’arrivée n’est jamais prévisible. Le temps de décharger toute la marchandise, Rita, l’une des passagères qui rentre chez elle, nous fait faire le tour de son île à l’arrière de sa camionnette. Elle est fière de nous montrer la poste, l’école, la mairie. Nous faisons le tour du village avec un aperçu de part et d’autre de l’île en moins de 30 minutes. La traversée de la bande de terre entre lagon et récif n’est que de quelques centaines de mètres.

C’est déjà la tombée de la nuit et la marchandise vient d’être mise à disposition des habitants qui viennent chercher leurs colis à la pile électrique. Bientôt, ils pourront charger dans le sens inverse des sacs en toile de jute de coprah, la chaire de noix de coco séchée. Ce coprah est vendu à l’huilerie de Tahiti à Papeete pour fabriquer, notamment, le fameux monoï. C’est la principale source de revenus de certains atolls. Une dame française un peu âgée, la seule popa’a de l’île, vient à notre rencontre. Elle se plaint d’attendre depuis des heures la livraison de ses cuisses de poulets surgelées made in USA qu’elle a commandé pour nourrir ses chiens. Mais bon, les habitants de l’île n’ont pas le choix, ils sont dépendant du Cobia 3 qui est le seul cargo qui les livre. Elle est venue vivre ici toute seule il y a de nombreuses années pour qu’on lui fiche la paix. C’est sûr, pour être isolée, y’a pas mieux ! Comment sont les gens ici, la culture ? « Très gentils » mais bon, elle n’arrête pas de les critiquer. Ils ne savent même pas parler français correctement, ils ne sont pas fiables, et sont incapables d’anticiper quand ils n’auront plus de sucre (et viennent le lui en demander ; maintenant, elle dit qu’elle n’en a plus non plus !). Elle retourne une semaine à Tahiti tous les 3 mois pour les divers rendez-vous chez les médecins et aussi pour profiter du confort de la ville. Là, elle reste dans une pension qu’elle adore et surtout elle se fait le plaisir du restaurant tous les jours ! Cette dame dit apprécier sa vie dans cette île avec ses chiens, moi je trouve la dame un peu triste.

Retour dans le Cobia 3 pour une nuit un peu plus calme, nous serons le lendemain matin avant 6h à Fakarava. Ici, le quai est suffisamment grand (desservi par plusieurs cargos) et le village s’étend dans la longueur côté lagon. Il est encore un peu tôt pour chercher où loger. Nous nous baladons le long du lagon. Quelques personnes sont au bord de l’eau. Iaorana (le bonjour tahitien) ! Nous allons les voir. Une femme nettoie ses poissons de la pêche du jour les pieds dans l’eau. Son mari, Mana, à l’allure de bad boy tahitien, instructeur de plongée et un peu grande gueule, nous invite cordialement à nous rapprocher. Nous faisons immédiatement connaissance avec le requin dormeur. Il y en a 5 aux pieds de la dame. Elle leur donne les restes de ses poissons et se permet même des caresses. Nous caressons à notre tour ces beaux requins. Curieuse peau écaillée et rugueuse. L’un d’entre eux a un aileron coupé. C’est Mana qui l’a sauvé. Il était emmêlé agonisant dans du fil à pêche. Depuis, il lui rend visite chaque matin, au moment du nettoyage de la pêche du jour bien sûr. Apparemment ils ne sont pas du tout dangereux, à condition de ne pas mettre sa main devant leur gueule bien sûr. Leurs dents sont petites et ils aspirent leur nourriture. A côté, le vieux pêcheur Aro qui nettoie lui-aussi sa prise. Je discute un petit moment avec lui non sans peine. Son français est approximatif. Je comprends tout de même une chose : son genou et son mollet avec la grande cicatrice ont été grignotés il y a longtemps par un requin. Ah oui, il y a donc des gentils et des méchants… L’après-midi même, nous tomberons nez à nez avec un beau spécimen de requin lors de notre première plongée en tuba. Coup de palpitant et demi-tour direct. C’était vraisemblablement un requin dormeur. Nous ne sommes pas encore aguerris dans la distinction des différentes espèces. Nous apprendrons plus tard qu’il est très peu probable de croiser des requins dangereux au bord du lagon. Nous croiserons seulement des requins inoffensifs, les dormeurs et les pointes noires. Quand même, Mathieu n’est pas très rassuré !

Nous nous mettons à la recherche d’un bout de terrain pour planter notre tente. Les dames de la mairie ne nous sont ni très utiles ni agréables. Elles nous envoient dans la pension du vieux Jacques. 7000 francs (presque 60€) par nuit pour notre tente, petit dèj, wifi et prêt de vélo. C’est franchement hors budget pour notre bourse. La Polynésie semble carrément avoir fait le choix du tourisme de luxe. Les « resorts » 3, 4, 5 étoiles se partagent le gâteau tandis que les solutions d’hébergement pour voyageurs sac à dos sont tout simplement inexistantes. Cela expliquera en partie notre ressenti vis-à-vis de Fakarava.

Nous voyant partir, une locale qui travaille à la pension nous court après : « Attendez-là, je vais voir avec ma tati, vous pourrez surement mettre votre tente chez elle. » C’est comme ça que nous nous retrouvons chez Heidi. 200 mètres d’un côté et nous avons les pieds dans le lagon. 200 mètres de l’autre et nous marchons sur le récif, côté océan. Je suis contente d’installer notre tente, celle-là même que nous avions achetée en Chine après le regret de ne pas en avoir bénéficié en Mongolie et que nous n’avions finalement pas encore eu l’occasion d’utiliser. Pour quelques nuits, entre deux cocotiers, ce sera parfait. Heidi est une jeune fille de 24 ans plutôt garçon manqué. Elle habite dans sa grande maison de famille avec son cousin Ben et sa jeune fiancée de 18 ans, Hani. Heidi cumule plusieurs petites activités : elle est gardienne d’une ancienne ferme perlière sur une île voisine, elle fait du coprah sur sa cocoteraie à côté de sa maison. Mais surtout, elle joue au basket à la salle avec tous les autres jeunes de l‘île. Nous prenons le temps de discuter avec elle. Elle nous confie qu’elle a une fille de 11 ans, qu’elle a donné à une autre famille qui s’en occupe très bien d’après les nouvelles qu’elle reçoit. Elle était beaucoup trop jeune et ses parents ne pouvaient s’en occuper. La jeune Hani à la maison est heureuse d’être enceinte de son premier bébé. Elle pense que c’est un garçon, car son petit frère de 2 ans ne veut plus l’approcher depuis qu’elle est enceinte. Ici, la parentalité commence très jeune. Je ne pense pas qu’il y ait de contraception. Et les mœurs m’apparaissent très légères. Une autre conversation plus tard avec le vieux Aro me fera comprendre que les rapports sexuels et la prostitution peuvent commencer couramment dès l’âge de 13. Cela ne semble ni caché, ni tabou, ni honteux ici. Je n’ai malheureusement pas eu l’occasion d’en parler directement avec une jeune adolescente. Sur le retour, une jeune fille montera à bord du Cobia 3 le temps d’une escale.

Après l’émotion intense de notre première plongée en face de chez Heidi (le face à face inattendu avec le requin !), nous cherchons un endroit pour dîner. Pas très loin de chez Heidi, près du quai, il y a un snack avec beaucoup de locaux et quelques ados qui jouent au « trou du cul », un jeu de cartes populaire. Le menu, sur le coup, nous surprend : sandwichs américains en tout genre, steak ou poulet-frites. Un malheureux petit poisson cru en bas de carte. Nous qui pensions manger surtout du poisson… La malbouffe, avec des produits de qualité discutable (notamment surgelés de viande, frites, pain etc) importés des Etats-Unis, de Nouvelle-Zélande ou d’Australie, fait malheureusement figure de mets de gourmandise à côté du poisson frais qu’ils mangent quasiment à tous les repas. Il faudra aller voir du côté d’un restaurant davantage pour touristes pour gouter du bon poisson frais (principalement cru, préparé en carpaccio, en sashimi, ou avec de la coco… un régal !). La question de la nourriture sur cette île me laisse perplexe (et frustrée pour la végétarienne que je suis). Cela ne semble pas (plus ?) une priorité de cultiver ses légumes. On n’aime pas trop ça par ici de toute façon apparemment. Cela me semble complètement paradoxal compte tenu de l’isolement de l’île où la recherche d’autonomie alimentaire n’est plus seulement une question de choix mais potentiellement une question de survie. Pendant toute la semaine que nous passons là-bas, il y a une pénurie d’œufs… On attend le prochain cargo. Effectivement, en complément du poisson, quasiment toute la nourriture (principalement industrielle et même quelques fruits et légumes) est importée et arrive par le Cobia 3. Des produits qui, par conséquent, coûtent globalement chers.

Se pose alors la question de l’argent qu’il faut trouver pour vivre et se nourrir. Sur une île de 800 habitants, les opportunités de travail sont plutôt limitées. Un copain de Ben m’explique qu’il y a beaucoup de vols sur l’île. La solution facile. Les jeunes cherchent à gagner de l’argent par tous les moyens. Nous en ferons les frais, avec 20 000 francs (quasiment 170€) qui disparaitront comme par magie de notre portefeuille. Nous entendrons aussi des histoires de cambriolage chez les gens. Ironie de la situation, certaines pensions de l’île importent du poisson de Tahiti. N’y a-t-il personne ici qui veuillent le leur en pêcher et vendre ? A côté du revenu de la vente du coprah, environ 2 fois par an et très subventionnée, une discussion avec l’unique pâtissière française nous apprend que les locaux vont également pêcher les concombres de mer (c’est vrai que nous en voyons partout). C’est un mets très prisé des chinois et ça se vend à très très bon prix. « Heureusement qu’il y a des quotas » nous dit la pâtissière, « ça devient un vrai massacre quand c’est la saison, ils videraient le lagon ! ». Une autre source de revenu est bien sûr le tourisme. Mais nous nous rendons vite compte que la majorité des entreprises touristiques (plongée, pension, resort, transferts etc…), même s’ils emploient des locaux, sont tenus par des popa’a. Les popa’a sauveurs qui feraient tourner l’économie ? Ou les popa’a, par l’intermédiaire du tourisme, responsables de l’importation d’un système économique nocif à la vie locale ? De manière générale, nous constatons que les locaux ne sont pas particulièrement enthousiastes à l’idée de devenir copains avec des popa’a. « Par le passé, certains français sont venus ici avec leurs grands airs de tout savoir », nous dit encore la pâtissière qui vit ici en bon terme avec les locaux depuis presque 15 ans. « Ça n’a pas plu et maintenant ce sont tous les blancs qui en font les frais. » Bien sûr, la culture polynésienne fait que les locaux lancent généreusement dans la rue des « Iaorana ! » à tout-va bien agréables. La politesse, c’est aussi bon pour le tourisme. Mais dès qu’il s’agit d’aller un peu plus loin, de discuter davantage, d’entrer dans leur cercle, je sens de manière générale beaucoup de réticence. Peut-être aussi une forme de jalousie / frustration face au pouvoir d’achat de tous ces touristes qui viennent dans les grands hôtels ou mouiller dans le lagon avec leurs beaux bateaux. L’argent et le tourisme me semble avoir bien changé la vie des locaux. « Avant, on mangeait tous les soirs chez les uns et chez les autres », nous racontait Heidi. « Maintenant, c’est chacun chez soi. ». Sur le Cobia 3, un tahitien sans plus trop de dents, ouvrier sur un chantier naval et de retour à Papeete pour préparer les papiers pour sa retraite, faisait le même constat généralisé. Pour lui, c’est la « modernité » qui est en cause. Même lui a peur maintenant de se faire voler quand il va à Papeete. « Avant, c’était pas comme ça… » Et c’était quand avant ? Son regard se perd dans le vide avec un léger sourire. Il fait non de la tête. Il ne saurait dire…

Bon, quand-même, il y a des aspects de la vie polynésienne qui sont bien ancrées. Après notre dîner (des galettes, le seul restau du village ouvert le soir, tenu par des popa’a), nous sommes invités à rejoindre une bringue dans la rue. Concept polynésien qui voit se réunir quelques personnes / hommes avec des bières et des guitares et autres ukulélés. Alcool aidant, « Richard cœur de lion » et les autres acolytes se montrent franchement amicaux. Les bons vivants jouent et chantent tous en cœur des classiques polynésiens dans la bonne humeur. Notre première journée à Fakarava commence donc avec la caresse de requins et se termine par une joyeuse bringue. Nous nous endormons pour la première fois dans notre tente, bercés par le bruit des vagues qui s’échouent violemment sur le récif. Les nuits de grand vent, nous sommes réveillés par les noix de coco qui tombent.

Nous apprenons un petit peu mieux à connaître Heidi, Ben et Hani, même s’ils ne sont franchement pas en demande d’échange. Nous cuisinons à tour de rôle et partageons les dîners. Ben va de temps en temps à la pêche au harpon avec des copains. Ils ramènent de gros poissons perroquet que Heidi sait divinement bien cuisiner. La pêche se passe la nuit dans le lagon, ou la journée au niveau de la passe (là où l’eau de l’océan pénètre au centre de l’atoll pour former le lagon). Ils y vont à plusieurs avec des lampes torches très puissantes, masques, tubas et palmes (il peut y avoir beaucoup de courant). Ainsi, il doit toujours y avoir un ou deux plongeurs qui restent à la surface pour surveiller les requins, attirés par le sang des poissons harponnés, et qu’il faut justement très vite remonter dans le bac flotteur. Ici dans la passe ou éloigné des plages, on ne parle plus des requins inoffensifs, mais bien de ceux qui ont croqué le genou d’Aro. L’un des plongeurs a une sorte de harpon « à blanc » destiné non pas à tuer mais à éloigner un requin un peu trop insistant. Une fois, Ben revient avec son harpon « à blanc » complètement tordu… Eux, ça ne les effraie pas. Ils ont l’habitude et surtout partagent un bon code de communication une fois sous l’eau. A les écouter, les rares qui se sont fait attaquer étaient surtout très imprudents en laissant leurs poissons harponnés trop longtemps sous l’eau.

Nous occupons nos journées à faire du snorkeling. Au bout de quelques jours, nous trouvons le spot idéal, chez Elda, un restaurant de poisson sur le lagon. Plage de sable fin, cocotiers, eau turquoise, petit ponton qui s’avance sur l’eau... et quasi désert en cette période hors saison. Il faut dire aussi que, contrairement à la Thaïlande, l’isolement de ces îles et le coût pour y accéder jouent en la faveur de l’environnement. Pour combien de temps encore ? Pour l’heure, ce lieu nous offre un spectacle magnifique de poissons multicolores que nous pouvons même observer depuis la surface tant l’eau est transparente. De temps en temps, un petit frisson lorsque nous voyons un requin pointe noire. Il est vraiment très beau et beaucoup plus rapide que son homologue dormeur. La vie sous l’eau est incroyable. Quel plaisir de nager au milieu d’un banc de petits poissons bleu fluo, de regarder les petits poissons clown se cacher dans les coraux. Mon préféré est sans conteste le baliste picasso, tellement créatif. Il se laisse aussi facilement suivre. De même que le long poisson flute qui nous regarde avec ses gros yeux. Symphonie de demoiselles à raies blanches, de poissons papillon lune, de poissons perroquet. Et le petit poisson coffre, trop mignon. Ma grande découverte, ce sont surtout les bénitiers, ces gros coquillages à la bordure ondulée qui s’encastrent dans les coraux. Il y en a beaucoup. Lorsqu’on aperçoit leur robe d’intérieur, je trouve cela magnifique : du bleu turquoise, du pourpre, du vert émeraude, des couleurs intenses et lumineuses. Un petit paradis offert par mère nature !

Un de mes passe-temps favori aussi est la recherche de coquillages, cette fois côté récif. J’adore crapahuter sur cette roche qui prend des couleurs orangées au coucher du soleil et qui nous protège des vagues qui se déchainent. Si on sait où chercher (et le vieux Aro m’a filé le tuyau), on trouve de belles porcelaines, ce coquillage arrondi avec une fente en-dessous. J’ai la joie de tomber sur une magnifique cypraea isabella, digne d’un Miró… Ou plutôt est-ce Miró qui pourrait être digne de la porcelaine !

Une autre fois, nous allons en vélo jusqu’à la passe nord. Une dizaine de kilomètres en plein soleil. En fait, si les bordures (lagon et récif) sont riches, la langue de terre est un peu fade avec aucun relief, et uniquement des cocotiers et de la végétation basse. Une grande route traverse le motu principal où se sont installés les habitants. Le motu (prononcer motou) est le nom qui est donné à une accumulation de sable, souvent généré par une barrière de récif, créant une terre émergée. L’atoll, qui se forme autour du lagon, est en fait constitué de plusieurs motu, laissant des passes entre. Fakarava dispose de deux passes où les coraux sont suffisamment profonds pour laisser entrer les bateaux et les courants. Sur la plage de coraux blanchis par le sel et le soleil, nous observons les vagues du lagon faire face aux vagues de l’océan. Nous y repasserons au retour à bord du Cobia 3.

Une semaine après notre arrivée, le Cobia 3 est fidèle à son rendez-vous hebdomadaire. Le capitaine nous laisse monter bien que nous n’eussions pas réservé. Nous avons plaisir à monter dans l’environnement familier du cargo avec son équipage que nous retrouvons et qui nous salue chaleureusement. Je quitte Fakarava avec une impression contrastée entre la magnificence de la nature et la tiédeur humaine. Je prends aussi conscience de l’isolement de ces îles. Malgré la proximité de l’atoll voisin de Niau, à peine 300 habitants, commune associée de Fakarava, et que j’aurais d’ailleurs adoré visiter pour sa particularité géographique (un lagon fermé), les bateaux s’y rendant sont rares. Les carburants coûtent cher. La mobilité des locaux se limite au lagon et aux abords du récif. Ou alors dépend du Cobia 3 (1 fois par semaine) ou des avions (5 fois par semaine) beaucoup plus onéreux. Pour la visite d’autres atolls, nous compterons exclusivement sur les escales du Cobia 3.

La première est Aratika. 250 habitants. L’atoll s’est récemment pourvu d’un quai. C’est le maire en personne qui nous l’explique fièrement, attablé au bistro du quai avec un compagnon. Nous ressentons assez rapidement l’ambiance différente, plus chaleureuse qui règne ici. Nous sommes heureux de constater que chaque atoll a une identité, une atmosphère unique. Après une balade sur les récifs, nous nous installons au bistro en attendant la fin du déchargement / chargement. Le maire est fier de nous préciser qu’il cultive la plupart de ses légumes avec du super compost fait-maison, du jus de poisson fermenté. Son jardin donne tellement qu’il en a même marre de manger des melons et des pastèques. Il tient l’unique pension de l’atoll. C’est un personnage haut en couleurs. Il nous explique comment il a fait construire un nouveau village sur le motu le plus grand pouvant accueillir la piste d’atterrissage. Ecole et mairie flambant neuves. Il y a même un bâtiment anticyclonique. Le tout apparemment autonome en énergie renouvelable (à Fakarava, ce sont des immenses groupes électrogènes qui alimentent en électricité le village). Chapeau le maire ! Et il en est fier ! Avec son acolyte, non pas moins éméché, ils racontent comment le petit atoll compte bien se faire une place au sein de la Polynésie et au sein des Tuamotu aussi. « Les perles de Tahiti, le monoï de Tahiti, tu parles, toujours Tahiti. Tu crois qu’elles viennent d’où les perles ? Et le coprah ? » Il s’exalte aussi de voir que les financements pour les Tuamotu finissent principalement dans les poches de Fakarava, commune principale du groupement de communes associées. Mais ils peuvent compter sur lui qui est un super maire comme en témoigne son voisin. Ils descendent des légendaires guerriers polynésiens, ceux qui à 60 pouvaient décimer une île de 600 habitants dans la nuit, ceux qui s’étaient cousus des dents de requin dans la paume de leurs mains, des montagnes. A ce stade, ils commencent à nous parler de légendes polynésiennes que nous comprenons de moins en moins bien au fur et à mesure que la Hinano, la bière polynésienne, se vide. Ils sont marrants ses deux-là côte à côte. Le maire, descendant d’un commerçant indien, grand et sec, et son ami, descendant d’un navigateur américain, gros et portant ses lunettes de soleil même une fois la nuit tombée. Et tout dans la finesse de la part de l’américain, en répondant à ceux qui les traitent d’étrangers : « Nos ancêtres avaient tout compris. Ton tampon de titre de propriété, c’est ta bite et tes couilles. Ils ont tamponné les femmes d’ici et voilà comment tu te retrouves avec ta terre ! » Oui, bon allez, nous retournons dans notre bonne vieille couchette.

Le lendemain matin, nous faisons escale à Arutua. La passe est délicate, très étroite, et mouvementée, bordée par une ferme perlière comme il y en a tout autour du lagon. Le cargo s’attèle à une bouée et nous voilà prêts pour un petit tour de barge. Quelle bonne surprise de découvrir des visages connus sur le quai, nos copines avec qui nous avons voyagé à l’aller. Elles déposent ici leurs bagages pour Tahiti, mais cette fois, rentrent en avion. Priscilla est là aussi et elle prend place avec nous à bord du Cobia 3. Autre atoll, autre esprit. Ici, on vit de la culture perlière, et ça se voit. Le village, très condensé et très charmant, semble s’être construit sur le plus petit motu de l’atoll. Cela n’empêche pas certaines maisons de ressembler à de petits manoirs. Priscilla, qui a séjourné une semaine ici nous explique que tout cet argent, et surtout la volonté de l’afficher, l’a mise mal à l’aise en entachant un peu les relations. Le village se partagerait au sein d’une même famille entre la branche plutôt blanche et la branche plutôt foncée, et la jalousie qui va avec. Si l’un d’entre eux achète 3 jet skis, l’autre en commandera 4 aussitôt. Les fermes perlières, ça rapporte. Les lignes de culture dans le lagon sont parfois surveillées 24h/24. Nous aurons droit à une petite visite spontanée en nous baladant dans le village d’ailleurs. Les hommes d’une ferme nous montrent comment ils séparent et rangent les nacres (le coquillage producteur) par taille, pour ensuite les réaccrocher à une nouvelle cordelette pour encore quelques mois de croissance en attendant la greffe du nucléus, la base de la future perle. En guise de cadeau de départ de la part de son hôte sur Arutua, Priscilla se permet de refuser un superbe collier de perles (!). Les intentions auraient été plutôt de faire savoir à Tahiti d’où vient le collier.

Une dernière nuit dans le Cobia 3 avant de rejoindre Papeete. À la lumière du petit matin, nous voyons apparaître la belle île montagneuse. Au port, nous sommes accueillis par un banc de dauphins. Magnifique ! Trois vieux bateaux chinois rouillés sont amarrés. Apparemment, ils auraient été pris en pleine pêche illégale dans les eaux françaises et attendent que les autorités décident de leur sort. Cette vision n’est franchement pas rassurante ! Cathy et Titou nous attendent et nous offrent cette impression de rentrer chez nous en bonne compagnie à Papeete.