Une petite semaine à Papeete, histoire de préparer la suite du voyage et aussi un peu notre retour en France (bah oui, il faut y penser un peu !), et nous voilà repartis à la découverte d’une autre île, cette fois très proche, l’île sœur de Tahiti, Moorea. Un ferry d’à peine une heure suffit pour s’y rendre. De nombreuses personnes travaillant à Tahiti habitent à Moorea et font la navette tous les jours. C’est que Moorea a quelque chose en plus de Tahiti. Ou plutôt en moins. Moorea n’est composé que de villages tout autour de l’île. Pas de grande ville comme Papeete avec des 2 fois 3 voies tout autour et des embouteillages à l’heure de pointe. L’atmosphère y est bien plus tranquille. Les grandes chaines hôtelières de luxe l’ont bien compris.

Nous débarquons du ferry et nous mettons en recherche d’un conducteur pour nous prendre en stop pour la direction de l’unique camping de l’île, à l’opposé, 25km plus loin (on fait le tour de l’île en une 60aine de kilomètres). Un gentil couple de popa’a installé ici depuis 1 an seulement nous avance un peu. Puis nous sommes pris en stop par Vlad(imir) qui, contrairement à ce que son nom indique, est un local d’ici. Il habite justement tout près du camping et travaille même à la pension voisine. Le feeling est bon, il nous invite à la soirée qui aura lieu le soir même sur la plage avec ses amis.

Une fois notre tente installée, nous prenons donc le temps de faire connaissance avec cet adorable Vlad. Je suis impressionnée par tous ses tatouages. Même si la plupart des polynésiens sont tatoués, c’est la première fois que j’en rencontre un avec la moitié du torse tatoué et à qui je peux en demander la signification. Il a en effet toute la partie droite de son torse, jusqu’au cou, couverte de tatouages polynésiens. Il nous explique qu’il a commencé par la droite parce qu’il n’est pas un pur polynésien, dans le sens où il a été adopté petit par une famille de popa’a et qu’il a vécu pas mal d’année en métropole avant de revenir. Les « vrais » commencent par se tatouer le côté gauche. Ainsi tout le monde sait qu’il est un « demi », mais cette distinction s’effacera lorsqu’il sera complètement tatoué. Ses dessins racontent son histoire : son enfance à nager avec les baleines, le foyer représenté par des motifs des murs tressés en feuille de palmier, la maternité, la pêche… Quand il a choisi de revenir habiter en Polynésie après ses études en France, il a appris à parler le tahitien qu’il parle maintenant couramment. Ayant la double culture, française et polynésienne, et ayant fait des études en école de commerce, il a pu bénéficier de postes intéressants à son arrivée en Polynésie entre le tourisme de luxe à Bora-Bora, la gérance d’une ferme perlière dans les Tuamotu, ou actuellement, une pension tranquille à Moorea. Il était à Bora-Bora quand cet atoll était à son apogée du tourisme. Il nous explique à quel point il était facile de se faire beaucoup d’argent rapidement et à quel point les habitants, vivant très confortablement du tourisme, ont déchanté après la crise. Nous croisons un de ses voisins, saoul en pleine journée. Il avait loué ses terres pendant 40 ans au Club Med (aujourd’hui parti de Moorea), ce qui lui a apporté un revenu considérable sans avoir à travailler. Il passe donc ses journées à ne rien faire, boire, fumer le bonbon (nom local du cannabis, très largement cultivé et consommé partout en Polynésie). Vlad nous explique que ce sont les blancs qui ont apporté la notion de travail. Dans la culture polynésienne, la norme est plutôt de laisser couler la vie, profiter de la mer, regarder les paysages, pêcher, ne rien faire. Alors forcément, le travail et l’argent (et l’alcool), ça dérègle un peu tout. Vlad est également bien conscient des enjeux environnementaux liés au tourisme. Nous lui racontons le contraste que nous percevons ici avec la Thaïlande où nous étions obligés de prendre un bateau pour aller loin au large pour apercevoir la riche faune sous-marine. Ici, le trésor se trouve à quelques mètres du bord. Selon Vlad, c’est l’appât du gain qui est un problème et une menace. Dernièrement, un grand hôtel a voulu détruire une partie de corail pour construire un quai. Grâce à l’aide de Greenpeace qui ont su faire pression et informer les locaux, le projet ne s’est pas fait. Le risque aurait été non seulement environnemental mais aussi sanitaire : des micro algues connues pour proliférer sur les coraux détruits produisent une toxine responsable d’une maladie qui remonte dans la chaîne alimentaire jusqu’à l’Homme. Mais l’équilibre reste très fragile et va d’autant plus être mise à mal avec l’ouverture non pas d’une, mais de deux nouvelles compagnies aériennes. Déjà, depuis l’ouverture très récente de l’une des deux, une petite restauratrice nous confie être passée de 20 à 40 couverts le midi. C’est sûr, cela permet aux polynésiens de voyager. Ça permet aussi à d’autres types de touristes de venir ici. Qui est et sera le gardien de l’équilibre entre l’appât du gain et l’environnement et la biodiversité ?

A cette petite fête, la Hinano coule à flot, et pour moi, une noix de coco fraîchement ouverte. Je dégaine ma paille en bambou ! Nous y rencontrons notamment Gladys et Kiri qui se font un plaisir de nous initier à quelques spécialités. Nous découvrons une énième façon de manger la noix de coco. Lorsqu’elle commence à germer, l’eau à l’intérieur se transforme en une sorte de mousse un peu spongieuse au goût de coco. Et puis elles vont chercher pour nous dans un arbre voisin un pacaye, un fruit qui ressemble à un très gros tamarin, dont on retire les graines violettes semblables à des haricots rouges, pour déguster la chaire blanche sucrée, à la texture de barbe à papa mouillée. Un plaisir de découvrir encore un nouveau fruit que, de surcroit, on ne voit pas sur le marché. Baignade dans une eau turquoise pour se rafraîchir, un verre à la main, avec vue sur un motu et le récif au loin. Coucher de soleil sur la mer, un BBQ s’improvise. Nous séchons autour du feu.

Un autre jour, selon les conseils des amies de Vlad, nous louons un kayak pour nous balader dans le lagon et aller déjeuner dans un restaurant où travaille l’une d’entres elles, situé sur un motu. Il y a du courant, nous n’avons peut-être pas choisi notre meilleur jour pour aller pagayer ! Moorea est une île. Contrairement aux atolls où le lagon est très calme car entouré de motu, ici, le lagon se situe tout autour de l’île, entre les récifs et la terre. Les courants amènent parfois de bonnes vagues par les nombreuses passes. Sur les recommandations de la dame qui nous loue le kayak, nous allons d’abord à un endroit bien précis dans le lagon où d’autres bateaux stationnent. Apparemment, on peut y voir des raies. Nous nous rendons vite compte que c’est surtout un lieu où les raies, malgré l’interdiction, sont nourries quotidiennement pour les « besoins » du tourisme et des excursions en bateau. Ou comment modifier des comportements naturels pour de l’argent. Lorsque nous arrivons, nous entendons des adultes et des enfants hurler. A cet endroit-là, un banc de sable qui arrive presque à la surface et qui permet à tous d’avoir pieds. Tous les passagers des deux bateaux sont dans l’eau. Ils sont agglutinés en rond, et au milieu, un homme de l’excursion se donne en spectacle avec une raie qui lui monte dessus et qui passe dans les jambes des gens. Il faut que les clients en aient pour leur argent. Il y a une dizaines d’autres raies qui nagent autour ainsi que des requins pointes noires. Nous y reviendrons un peu plus tard pour découvrir, au calme, ces incroyables animaux. Pour l’heure je reste sidérée de voir à quel point le tourisme est prêt à tout pour faire de la nature un spectacle qui marche à coup sûr. Un peu plus tard, au restaurant du motu, des raies peu farouches se laissent caresser sur la plage. C’est qu’elles ont aussi l’habitude d’être nourries par le restaurant et les clients. Ça leur apporte une petite notoriété… Goût un peu amer. Pourtant, la nature imprévisible et authentique peut devenir un spectacle pour qui sait prendre le temps de l’observer. Un matin, en prenant notre petit dèj, les yeux de lynx de Mathieu repèrent une belle raie qui passe devant nous, à un mètre du bord de la plage. Les raies que nous voyons et caressons sont des raies pastenagues, grises, qui ont bien 1,20m d’envergure avec une longue queue et deux gros yeux sur le dessus de la tête. Elles se déplacent gracieusement et avec une aisance exceptionnelle en ondulant leurs longues « ailes ». Leur peau est douce comme le chapeau d’un champignon de Paris sous l’eau ! Elles n’hésitent pas à nous pousser si nous sommes sur leur chemin. Quelle grâce ! Un poisson cru au lait de coco, quelques coups de rames, une petite plongée masque et tuba et un magnifique coucher de soleil plus tard, nous nous endormons dans notre tente à huit heures du soir, bien fatigués. La nuit tombe vite sous les tropiques !

Un autre jour, nous louons des vélos pour explorer la partie terrestre. Moorea possède plusieurs montagnes volcaniques dont le célèbre mont Rotui au milieu des deux baies. Cette montagne a donné son nom à une marque locale de jus de fruits. Malheureusement, seul le jus d’ananas est entièrement produit avec des fruits de l’île. Les autres fruits arrivent d’ailleurs… L’usine Rotui possède par conséquent le monopole de toute la production d’ananas de l’île. Aucune exportation. Pour nous, c’est ananas juteux et à l’arrière-goût de vanille tous les matins ! Revenons aux baies. Leur environnement est totalement différent du lagon avec leurs jolies teintes verdâtres où l’eau calme reflète les montagnes. Sur le chemin dans la forêt qui mène à un belvédère, des fruits de la passion partout. Pas étonnant qu’il y ait un lycée agricole ici. Petite plongée masque et tuba sur une des plages publiques. Les coraux sont à quelques mètres de la plage et regorgent de trésors. Je m’éclate avec des petits poissons noirs aux gros yeux qui, curieux, se postent devant moi et m’observent. Et puis ces petites vipères de mer avec leur petite nageoire en forme d’éventail au bout de la queue. En réalité des poissons, rien de dangereux. Tous ces oursins cachés dans les interstices des coraux. Et ce banc de poissons jaunes à rayures noires que je m’amuse à diviser pour le voir se reformer dans une danse bien rodée.

Discussion avec une popa’a qui vit ici depuis 15 ans : « On ne finit pas par se lasser ? » « Certainement pas ! ».

Retour à Papeete le lendemain matin. Un après-midi pour préparer nos affaires et cuisiner une dernière fois un gâteau coco-choco et un pain à la banane au lait de coco frais (pour faire passer mon dégout pour les aéroports et avion !), et nous voilà en train de survoler le pacifique, direction San Francisco. Nous avons le plaisir d’être attendu par un couchsurfer adorable, Bryan, qui habite en plein centre, tout près de Haight Street, la célèbre rue hippy. D’ailleurs, le lendemain, c’est la « Haight and Ashbury street fair », sorte de braderie où on peut trouver tout accessoire ou nourriture essentiel à un hippy avec des concerts de rock du style de ceux qu’on aurait pu entendre à Woodstock. Ça sent la marijuana à plein nez (c’est légal en Californie). J’interroge Bryan, qui est plutôt un produit de la Silicon Valley avec les derniers gadgets en poche plutôt que de Woodstock, sur le mouvement hippy actuel. Il confirme mes soupçons. Le mouvement hippy est aujourd’hui malheureusement pour la plupart, davantage une mode, notamment vestimentaire, qu’un réel choix de style de vie. En tout cas à San Francisco (c’est un peu différent dans l’arrière-pays où nous nous rendrons par la suite). Il faut dire qu’avec toutes ces multinationales des nouvelles technologies installées dans les environs et avec tout cet argent brassé, les salaires de certains grimpent aussi vite que les loyers. La faune humaine qui se balade sur cette foire est épatante et éclectique. Se côtoient des vieux hippies aux cheveux longs et gris, des tatoués de tous styles, des cheveux de toutes les couleurs, des capes, des chapeaux et même, quelques hommes nus avec quelques paillettes sur le pénis. Aujourd’hui, le quartier hippy fusionne allègrement avec le quartier gay non loin de là. Le magasin haut en couleurs « Peace and Love » alimente généreusement l’excentricité que souhaite afficher certains homosexuels. L’identité gay est très forte ici et San Francisco est très fière d’être au cœur de ce mouvement qui revendique sa liberté. La « gay pride », apparemment la plus grande au monde, a lieu dans 2 semaines (nous n’aurons pas la chance d’y participer) et la ville se pare déjà partout de drapeaux arc-en-ciel. San Francisco me frappe donc immédiatement et très agréablement dans sa manière d’offrir un environnement tolérant et accueillant pour tous. Tout le monde semble pouvoir être, ou du moins afficher, la personne qu’il souhaite être, aussi différent que cela puisse paraître, sans craindre de jugements. Ça me semble épatant.

Mais il y a aussi une face B. Cette première impression de la ville est très vite contrastée par un aspect franchement plus sombre. Dans certains quartiers, nous croisons une quantité impressionnante de sans-abris, souvent noirs, de gens paumés ou déments, sales et dans des fauteuils roulants ? Et même des jeunes qui se piquent dans la rue. La drogue et la pauvreté. Pour une ville ouverte et accueillante, ça fait beaucoup de gens qui restent sur le carreau en marge de cette société. Et puis quel contraste avec ses rues propres, aérées (peu de bâtiments au-delà de 4 étages) bordées d’arbres et de fleurs. Sans parler des quartiers très chic sur les hauteurs. C’est vrai, de manière générale, les rues sont calmes et semblent très agréables à vivre (Mathieu s’y voit déjà !) avec des parcs sur quasiment chaque colline et la forêt et la côte si proche ! On comprend pourquoi cette ville est très prisée et fait la joie des plus riches. En balade dans la ville, justement en hauteur dans les quartiers où nous voyons peu de sans-abris, nous nous asseyons sur un banc dans un « parc à chiens » comme il y a beaucoup ici, et nous amusons un peu à observer tous les toutous et leurs maîtres aux petits soins. Clôture pour pouvoir jouer avec son ami à 4 pattes en toute liberté, fausse pelouse pour ne pas salir les pieds des maîtres les jours de pluie, robinets d’eau pour humains et canins. Les habitants de San Francisco adorent les chiens. Il y en a vraiment beaucoup (pas autant qu’en Polynésie certes, où il n’est pas rare de voir un foyer en posséder 4 ou 5 mais où on les retrouve aussi nombreux errants et occasionnellement au barbecue), du style beaux pédigrés et belle prestance. Nous croisons même en plusieurs occasions des « petsitters » avec 5 à 8 chiens en laisses, chargés de la promenade en l’absence des maîtres. Toute cette attention (et cet argent !) donnée aux gentils toutous ne me paraîtrait pas démesurée s’il n’y avait pas tous ces gens dans la rue à quelques minutes de là. Comment une ville en arrive-t-elle à de tels contrastes, où tous les chiens sont plus heureux que les nombreuses personnes dans la rue (non pas qu’il faille maltraiter les chiens, j’entends bien !) ?

Après la foire, Bryan nous emmène sur l’une des plus hautes collines de San Francisco pour apprécier la vue. Nous comprenons les images de tramway de la ville presque à la verticale. D’ailleurs, montons dans un de ces tramway, quand même pas le plus typique, pris d’assaut par les touristes. Ces derniers sont nombreux aussi à se balader sur les quais qui prennent parfois plus l’allure d’une allée dans Disneyland. Nous voyons la prison d’Alcatraz sur son rocher dans la baie. Et puis soudain, nous entendons des Ooooh ! et des Aaaah !. Ces réactions sont causées par les nombreux lions de mer qui se prélassent sur des plateformes flottantes en bois installées rien que pour leur sieste au soleil. Ce doit être la saison de reproduction. Les gros males se combattent à coup de cous et de têtes et d’aboiements réclamant la « propriété » des plateformes et des femelles qui s’y trouvent. Malgré leur imposante carrure, ils sont capables de monter sur les plateformes avec une aisance remarquable.

Passage par un restaurant fast-food de burgers (nous sommes aux Etats-Unis quand-même !), mais de burgers végétariens. Bryan, comme beaucoup de jeunes de San Francisco, éduqués et plutôt à l’aise financièrement, sont végétariens ou végétaliens. Le cliché des américains obèses n’est pas pour San Francisco ! D’ailleurs, il a l’air d’y avoir de nombreux petits marchés de produits locaux et bio. Ce n’est pas pour nous déplaire. Nous ne nous priverons pas des bonnes pêches, oranges, fraises, amandes, cerises etc… La Californie a la chance de bénéficier de plusieurs climats entre côte et montagnes. Nous ne sommes définitivement plus sous les tropiques. Si nous avons la chance d’avoir de belles et longues journées ensoleillées à ce qu’on nous dit (apparemment c’est plutôt brumeux à cette période normalement : « Quand San Francisco s’embruuumeeee… »), le vent n’est pas en reste. Qu’est-ce-que ça souffle ! Un vent qui nous parait glacial et qui assèche l’air. Nous avions pris l’habitude de l’humidité dans l’air !

Nous louons des vélos pour nous balader un peu plus loin et sur la côte. Malgré les nombreuses côtes, les déplacements en deux roues dans la ville sont plutôt agréables. Les rues en quadrillages, occupées principalement par des maisons d’habitation, n’ont pratiquement aucune circulation. Et puis nous nous retrouvons très rapidement dans d’immenses parcs qui ressemblent davantage à des forêts. Aux Etats-Unis, tout est plus grand et les arbres, majestueux, en sont un exemple formidable. Nous arrivons vite sur la côte avec une immense plage de sable fin et une mer très déchainée. Des sauveteurs font des allers-retours sur la plage dans leur 4x4. Des petsitters profitent de l’espace. A quelques minutes de la ville, c’est sûr, c’est appréciable. Et puis nous longeons la côte jusqu’au Golden Bridge, fameux pour avoir été le pont suspendu le plus long du monde pendant de nombreuses années.

Nous sommes maintenant prêts pour aller découvrir l’arrière-pays californien dans une ferme. San Francisco, nous te rendrons une dernière visite dans un mois avant de nous envoler pour la France.