Notre arrivée en Australie est pour moi un choc. Ça faisait longtemps que nous n’avions pas mis les pieds dans un pays disons « surdéveloppé ». Partout, en Indonésie, ou même Thaïlande, nous avions réussi à nous mettre à l’écart de la société de consommation. Là, nous y rentrons de plein fouet.

Après un vol au-dessus de la grande barrière de corail, nous arrivons à l’aéroport de Cairns. Très rapidement, je déchante. Je fais la naïve et grosse erreur d’entrer sur le territoire australien avec ma collection de graines de fruits, fleurs et légumes soigneusement séchés et annotés avec amour dans les différents endroits où nous sommes allés. Plutôt que des objets matériels, j’avais choisi d’emporter avec moi comme souvenir ces petites graines que je me serais fait un plaisir de semer en rentrant. L’Australie et ses innombrables réglementations. Je pleure de me voir faire confisquer le bien le plus précieux que j’ai dans mon sac. Bien sûr, je comprends les raisons, il ne faudrait pas qu’une bactérie vienne décimer une plantation de banane me dit-on. Ça coûte beaucoup d’argent ! « Peut-on poster le tout directement pour la France ? Ça ne touchera pas le sol australien ! » Bien sûr que non, rigidité administrative oblige. Je pleure. De délicieuses cacahuètes localement grillées et bananes made in PNG dans mon petit sac. Jetées à la poubelle. Ne répondent pas aux standards d’importation, auraient dû être emballées dans du plastique. J’imagine que personne ne doit mourir de faim en Australie. Et si nous avons un petit creux plus tard, il y a pléthore de sucreries et de nourriture chimique chère et plastifiée disponible… La pilule a du mal à passer pour moi. Le jour même, au supermarché, l’endroit le plus accessible pour nous pour acheter de la nourriture, nous trouvons des bananes tristement uniformes et jaunes fluos. Rrrrrrr !

Nous logeons dans la banlieue de Cairns chez une dame trouvée sur Airbnb. Nous apprécions de retrouver le confort et la tranquillité auxquels nous sommes habitués. Quelques jours pour nous reconnecter à internet et reposer nos corps un peu fatigués. Et puis ici c’est facile, j’ai l’impression de connaître déjà. C’est comme au Royaume-Uni. Mais l’accueil minimaliste de notre hôte et sa tendance à vouloir garder le contrôle sur tout me fait presque peur. Je retrouve avec effroi des manies de nos sociétés de consommation. La peur de manquer, avec un grand frigidaire qui déborde (pour une seule personne !), des considérations matérialistes déraisonnées avec la recherche du responsable de la petite rayure sur la table Ikea toute neuve, la passivité et l’isolement que provoque la télévision…

Mathieu doit se remettre d’une angine carabinée. Consultation froide avec un médecin qui nous regarde à peine, les yeux rivés sur son écran. Rigidité administrative encore : ils n’ont pas le droit d’imprimer notre formulaire d’assurance depuis notre clé USB. Il faudrait revenir (et payer encore) avec le formulaire pour que le médecin le remplisse. Grrrr ! Nous couvons tranquillement dans notre chambre en attendant que la fièvre de Mathieu descende et préparons la suite.

Nous avons peu de temps à passer en Australie. Cette étape n’était pas réellement prévue mais s’est avérée sur le coup intéressante financièrement (euhhhh, peut-être pas finalement !) pour rejoindre Tahiti. Nous aurons donc moins de deux semaines pour rejoindre Sydney et y prendre notre avion. Afin de limiter les coûts tout en voyant du pays, nous décidons de tenter le challenge du stop. La dame Airbnb : « Faire du stop ? Personne ne vous prendra jamais ! Vous êtes inconscients, c’est trop dangereux ! » Paranoïa télévisuelle et peur de l’inconnu… Je serai très heureuse de la faire mentir !

Nous partons pour une petite balade dans le centre-ville de Cairns. Nous sommes tout de suite interpellés par des groupes impressionnants de chauve-souris géantes, appelées ici flying-fox, suspendues dans certains arbres. En plein jour, c’est une vraie cacophonie qui contraste avec l’atmosphère de cette ville. Ici comme dans d’autres endroits que nous traverserons par la suite en dehors des grosses mégapoles, tout nous apparaît tellement calme. Pourtant en pleine semaine, nous avons l’impression d’être chez nous un dimanche après-midi d’hiver quand tout est fermé et tout le monde reste bien au chaud chez soi. C’est qu’il y a de la place ici en Australie. Imaginez 1/3 de la population française se répartissant sur un territoire 11 fois plus grand que la France. La ville s’étend donc dans de grandes banlieues résidentielles avec de larges avenues, de grandes pelouses et jardins bien ordonnés autour de maisons construites principalement sur un niveau. La voiture est bien sûr le moyen de transport privilégié. Les centres-commerciaux, des lieux de vie quotidien. Il y a de nombreux fast-food partout. Mathieu, lui, est choqué par la majorité des gens qu’il trouve gros. Cela me fait penser au film « Captain Fantastic » (à voir absolument !), lorsque les enfants, habitués à vivre toute leur vie dans la forêt, font une apparition dans le monde classique américain. Ils s’interrogent sur cette maladie que tous ces gens ont. C’est vrai qu’en Asie de manière générale et en PNG d’où nous venons, il n’y avait pas suffisamment de cas d’obésité pour qu’on le remarque.

Dans un petit square au centre-ville tranquille, quelques aborigènes qui paraissent sans le sou, se regroupent pour boire. Ce pays dans lequel nous entrons est davantage blanc que le noir original. C’est sûr, ici nous passons inaperçus. Je constate tristement le sort des aborigènes. J’en discuterai également avec un conducteur, Marcel, qui nous prendra en stop. Les aborigènes et leur culture ont tout simplement été exterminés par les blancs, principalement des anglais au départ. La tâche aura été plus facile qu’en Papouasie-Nouvelle-Guinée car les aborigènes, contrairement aux papous, sont davantage nomades. Plus facile de leur voler leurs terres. Les maladies européennes joueront aussi un grand rôle. Et puis dans cet effort de « blanchiment » de la société australienne, même encore dans les années 60, on enlevait des enfants aborigènes de leur famille pour les élever dans une famille blanche. L’alcool a aussi été introduit parmi cette population native qui n’en avait pas l’habitude. Aujourd’hui, la population aborigène représenterait seulement 3% de la population totale en Australie. Les aborigènes se retrouvent soit, intégrés à la population blanche en adoptant leurs valeurs et l’argent, soit mis à l’écart, parfois dans des camps aborigènes. Mis au ban de la société et ne pouvant plus réellement vivre selon leurs traditions, ils se retrouvent en pertes de repères et souvent dérapent. Quand je vois tout cela, je me réjouis pour le peuple papou, qu’il n’ait pas encore été trop « développé » par les blancs. C’est finalement une chance pour eux de conserver un peu de leur culture et de leur âme. Il y a bien des programmes gouvernementaux australiens pour lutter contre l’alcoolisme ou la pauvreté. Cela coûte beaucoup d’argent et ne sert pas à grand-chose selon Marcel. Effectivement, comment imaginer que ceux qui ont créé le problème puissent le solutionner. Adrien, un voyageur dont le blog nous a inspiré, parle aussi des aborigènes (et de l’auto-stop et de la Papouasie-Nouvelle-Guinée etc…) et raconte l’histoire de cette fameuse montagne rouge d’Uluru où il est allé dans le désert. Blog à parcourir si le sujet vous intéresse : lien vers le blog d'Adrien

En train de grignoter à la table d’un pub, un aborigène nous accoste en jetant des coups d’œil insistant à notre repas. Il demande s’il peut gouter. Nous répondons par l’affirmative avec plaisir, l’homme ayant l’air sympathique et dans le besoin. Il nous dit : « Je vais vous raconter une histoire (les aborigènes et les papous, même tendance aux histoires !). Qu’on soit blanc ou noir n’a pas vraiment d’importance du moment qu’on est une bonne personne. » Et il s’en va. Tout est dit. Il y a encore malheureusement beaucoup de racismes en Australie. Impérialisme blanc.

Mathieu a retrouvé sa forme. Nous ne nous éternisons pas plus longtemps à Cairns et nous mettons en route pour trouver notre premier stop entre inquiétude et détermination. La difficulté principale est de sortir de la ville. Flot de voitures, 4x4 flambants neufs et gros pick-up à toute berzingue sur des 2x3 voies. Compliqué. Nous sommes encore des auto-stoppeurs débutants, il nous faut apprendre. Notre panneau n’est peut-être pas clair. Et puis nous ne sommes sûrement pas au bon endroit. Nous prenons un bus pour sortir de la ville et nous retrouvons dans la station-service d’une voie rapide. Quelques heures après avoir démarré, une vieille dame toute gentille dans un 4x4 tout neuf s’arrête. Elle ne va pas très loin mais elle pense qu’elle peut nous sortir de la ville. C’est sa bonne action de la journée. Elle espère que quelque chose de bien va lui arriver en retour. Pas tout à fait désintéressée la madame, mais ça nous aide bien. Et puis après, tout s’enchaine très vite dans un flot continue de gentillesse et de bienveillance. Un jeune homme nous interpelle avant même que nous montrions note pancarte. Il peut nous déposer à une 20aine de kilomètres exactement sur la bonne route. Sa voiture est un peu défoncée. Il nous explique qu’il n’a pas de logement et dort dans son véhicule. Le stop, il connaît. Cet adorable jeune homme sans trop d’argent (ça contraste avec tous les véhicules qui ne s’arrêtent pas !) fait preuve d’une grande générosité. Quand on dit que c’est ceux qui ont le moins qui donnent le plus, ça se vérifie dans les faits ici. Décidément, ça peut aller très vite le stop. Un monsieur originaire de Bornéo qui rentre du travail nous dépose encore un peu plus loin. A peine le temps de choisir notre endroit qu’un Josh s’arrête. Il est allé à Cairns pour un rendez-vous médical. Ici, la santé est un service public gratuit. Mais il faut parfois attendre 3-4-5 ans pour bénéficier d’une opération. Josh attend. Il n’a pas les moyens de se payer une opération dans une clinique privée. Sur la route, nous passons sur beaucoup de petits ruisseaux. Josh nous explique qu’il faut faire attention car la plupart de ces cours d’eau sont infestés par les crocodiles. Il y en a beaucoup dans tout le nord du pays où le climat est tropical. Les crocodiles, qui ont le sang-froid, ne s’aventurent pas trop vers le sud au climat tempéré. Josh nous raconte avoir souvent nagé avec des crocodiles lorsqu’il travaillait dans un élevage de crevettes. Il fallait souvent nettoyer les aérations des bassins par l’extérieur. Il y avait là toujours des crocodiles, attirés par les crevettes. Mais il ne craignait rien tellement ceux-ci avaient la panse bien remplie des petites bestioles d’élevage. Josh fait un petit détour pour nous déposer à un endroit qu’il pense prometteur pour nous. Il a déjà fait du stop quand il était jeune ou quand il avait des galères de voiture. Il sait de quoi il parle. Nous nous installons au bord d’une route type nationale, en face d’une station-service. Là encore, à peine le temps de sortir notre pancarte qu’un monsieur âgé nous appelle du parking. Il va dans la ville suivante. C’est la curiosité qui le pousse à nous prendre en stop. Son job ? Papi, et ça l’occupe assez comme ça. Autre sujet de conversation, la politique. Il nous interroge sur notre président. Sa jeunesse intrigue.

Il nous dépose à la sortie de la ville. Il n’est pas encore 16h, nous pensons que nous pouvons encore tenter notre chance pour aller un plus loin. Les gens rentrent majoritairement du travail à cette heure-là. Ils ne vont pas très loin. Hésitation… 35 minutes plus tard, nous faisons l’heureuse rencontre de Marcel avec qui nous allons parcourir pas moins de 1600km. Le gros avantage du stop, c’est que seuls les gens bienveillants et heureux de pouvoir donner un coup de main s’arrêtent. Les autres grognons et jaloux râlent, jugent et accélèrent en évitant de nous regarder. La plus grande partie de la population ralentie par curiosité, hésite puis, avec un sourire gêné, joue des marionnettes (ce geste des mains qui veut dire « désolé »). Je pense que je faisais partie de cette catégorie de la population avant. Je me souviens, en de rares occasions, être passée devant des auto-stoppeurs en France. Je crois me souvenir avoir hésité pour rapidement me trouver des excuses : « je n’ai pas de place », « je ne vais pas exactement là où ils vont ». D’autres pourraient se dire qu’ils sont peut-être dangereux, on ne sait jamais ces temps-ci. La peur de l’autre ou la peur de l’inconnu, la peur de s’ouvrir ou d’être généreux sans rien attendre en retour. Ce type de peur, est en général très fort pour trouver des excuses et empêcher le hasard de nous faire rencontrer des gens simplement. Les rencontres de ce type n’offrent pas de barrière derrière laquelle s’abriter. Pas d’accord commercial qui encadre une relation. Juste le plaisir de bavarder simplement entre deux êtres humains et de découvrir des gens. Dommage que cette peur fasse passer les gens à côté de super moments. Enfin, je ne sais pas comment Marcel qualifierait le temps passé en notre compagnie. Nous, en tout cas, nous avons adoré la sienne.

Marcel s’est arrêté comme ça, ni vu ni connu, sans même que nous nous en apercevions. Il descend sa vitre et nous demande où nous allons. Nous répondons vaguement le plus loin possible vers le sud. Et lui ? Réponse très floue, mais il peut nous avancer plus loin. Il a les rides du sourire au coin des yeux. C’est d’accord.

Marcel a un début de vie plutôt atypique. D’une mère néo-zélandaise et d’un père français, il est né en Papouasie-Nouvelle-Guinée où il a passé les cinq premières années de sa vie. Dans le bush, au milieu des tribus papoues. Ces parents ont même une photo de lui tout petit au milieu de ce groupe de papous récemment contactés quasiment nus avec un bâton dans le né. Lorsque l’on est en contact avec des gens aussi différents pendant la petite enfance, période où on construit ses images mentales, pas étonnant que l’on soit un modèle de tolérance. Son grand frère était dyslexique, c’est pour lui offrir une meilleure éducation que la famille est partie de PNG pour la Nouvelle-Zélande. C’est le métier de Jean-Pierre, son père, ingénieur mécanique, qui a permis plus d’une escapade familiale. Nous ne tarderons pas à le rencontrer d’ailleurs. Après 15 ans en Nouvelle-Zélande, ils déménagent pour l’Australie. Et c’est là que Marcel y a fait sa vie d’adulte. Depuis quelques années seulement, il habite à Cairns. Papa divorcé, il vit dans une grande maison avec son fils de 23 ans et un copain, un autre papa divorcé, et sa fille. La colocation, ça lui plait bien. Ils cuisinent à tour de rôle, c’est sympa et ça permet d’avoir une grande maison pour pas trop cher. Il ne roule pas sur l’or Marcel. Il est charpentier de métier, mais il a dû arrêter il y a quelques années à cause de problèmes de dos. Il enchaîne des boulots moins pénibles. Oh, il ne se plaint pas. Non, il ne se plaint jamais Marcel : « it’s alright ! ». C’est sa phrase préférée.

Nous roulons jusque que très tard. Il veut s’arrêter pour la nuit chez un de ses deux frères. Malheureusement, c’est la mauvaise semaine, il est de service à la mine. Marcel nous aurait bien emmené chez son frère mais là, il n’y a que sa belle-sœur et elle n’est pas trop à l’aise avec les étrangers. Il nous dépose dans un motel pour venir nous rechercher le lendemain matin.

Nous sommes ravis de le voir revenir dans son vieux 4x4 Toyota beige, un genre de modèle qui n’existe pas chez nous. Nous avalons les kilomètres sur cette M1 qui longe la côte. La plupart des australiens habitent sur la côte. Pour autant, le territoire étant tellement vaste, de nombreux kilomètres séparent parfois des petites villes. Par la fenêtre, des étendues de prairies jaunies par le soleil avec beaucoup d’arbres morts. Marcel nous explique que les fermiers ont empoisonnés ces arbres pour créer des pâturages pour leurs bêtes. Avant, sur toute la côte dans l’état du Queensland, ce n’était que de la forêt tropicale partout. Les gens ont rasé au profit de l’élevage de bœuf et subissent maintenant les conséquences de l’érosion des terres. Il faut dire que le désert n’est pas très loin. Il existe quelques programmes de replantation. Mais le mal est fait et nous le constatons sur une bonne partie de la route. Ces espaces libérés de forêt ont permis la propagation des kangourous qui vivent naturellement dans les prairies. Nous les verrons surtout morts sur le bord de la route. Nous discutons de la faune d’Australie. Marcel nous explique comment les blancs ont introduit les lapins, les renards (pour le plaisir de la chasse à courre !) et de nombreuses autres espèces qui, au final, ont complètement modifié l’écosystème local. Plus nous avançons vers le sud, plus les paysages verdissent. Nous rejoignons petit à petit le climat tempéré du sud-ouest du pays avec ses quatre saisons. Plus de forêt hormis les plantations de bois d’exploitation. De grands champs ou immenses plantations (certainement pas bio !) de fruits et de légumes, des fraises, des avocats, des bananes… et beaucoup de canne à sucre. Je repense à la dame de l’aéroport qui me dit pour m’attendrir : « Je suis sûre que vous ne voulez pas détruire notre belle nature ? » Il me semble que les engrais et autres pesticides chimiques qui sont produits ici ou entrent en toute légalité sur le territoire, ainsi que la politique agricole australienne, ont et détruisent encore bien plus la nature que quelques graines 100% organiques qui n’auraient même pas été plantées ici. Non, vraiment, ça a du mal à passer…

En fin de journée, Marcel nous amène chez ses parents à qui il rend visite. Ils habitent à Bundaberg, une petite ville sur la côte. Son père sera ravi de parler avec nous en français. Marcel n’a pas appris à parler français. Il a appris un peu le tok pisin en PNG mais il ne s’en souvient plus très bien. Son grand frère en revanche a appris le français car il habite en Nouvelle-Calédonie. Quelle famille ! Nous faisons donc la connaissance de Jean-Pierre et Coral. Jean-Pierre a du mal à trouver ses mots en français. Ça fait longtemps qu’il n’a pas pratiqué. Il a passé son enfance du côté d’Angers. Il a fait la guerre d’Algérie, et celle d’Indochine. Il a vu du pays et a appris beaucoup en présence des autochtones des différents continents. Coral l’a suivi dans ses différents boulots, notamment en PNG. Elle s’occupait d’un petit hôtel perdu au milieu du bush. Jean-Pierre s’occupait du bar en rentrant du travail. Il nous raconte comment ils n’ont jamais eu aucun problème avec les locaux. Une fois, en transit quelque part, ils se retrouvent au milieu d’une bagarre entre deux tribus papoues. La bagarre s’arrête le temps de laisser passer la famille pour mieux reprendre ensuite. « Nous ne craignions jamais rien avec les locaux. Tout dépend de la façon dont tu les abordes. Moi, je faisais un point d’honneur à ce que mes gars ne m’appellent jamais Monsieur. Toujours Jean-Pierre. » Jean-Pierre et Coral en ont des histoires à raconter. Comme cette fois où en Nouvelle-Zélande, des policiers ont découvert une grosse plantation de cannabis dans la montagne. Ils ont tout coupé et comme c’était difficile d’accès, ils ont tout déblayé dans un filet suspendu à un hélicoptère. Avec le vent, le cannabis s’est ressemé naturellement dans toute la région. Coral en avait dans son jardin sans savoir ce que c’était que cette jolie plante. Tout le monde rigole. Jean-Pierre et Coral se chipouillent comme deux jeunes amoureux. Ils sont trop marrants.

Marcel ne reprend la route vers le sud que le surlendemain. Ça nous laisse une journée pour visiter le coin. Pour le dîner, une salade de crudités et des grosses entrecôtes. Mathieu n’est plus végétarien d’un seul coup ! Le lendemain matin, après un copieux petit-déjeuner à base de bacon (les australiens sont de très gros mangeurs de viande !), d’œufs, de toasts et de Vegemite (une pâte à tartiner salée à base de levure que seul un australien peut vraiment apprécier 😉), direction la plage. Le contraste avec la PNG est d’autant plus saisissant qu’il me fait réaliser à quel point en Australie (tout comme certainement dans tous les pays industrialisés tels que la France j’imagine), la vie s’organise autour d’une notion de contrôle sur la nature pour en limiter tous les risques. Ici peut-être plus qu’en Europe, puisque les anglais qui ont atterrit ici se sont retrouvés face à une nature totalement étrangère. J’ai l’impression qu’ils ont pris un soin particulier à dompter les terres australiennes (et ses natifs !) pour la transformer en quelque chose de familier et complètement sécurisé. Les plages ici sont soigneusement balisées avec des allées bétonnées, des petits espaces bien délimités pour les plantes, une aire de jeux pour les enfants au sol molletonné, des tables de pique-nique, des digues pour protéger la baignade d’importantes vagues, des plages surveillées par un dispositif très professionnel, des panneaux informatifs sur les espèces de poissons venimeux (et notamment le très très dangereux poisson-pierre !). En PNG, les enfants dès le plus jeune âge apprennent à reconnaître et à vivre avec le danger que représente la nature. Ils l’appréhendent dans son caractère le plus redoutable et en même temps dans sa beauté la plus pure. La plage de Bundaberg avec sa côte bétonnée a une couleur un peu fade pour moi comparée à la végétation dense à deux pas des plages papoues. Marcel nous explique comment, à cause d’un accident causé par un requin et qui a fait la une des journaux, la chasse au mammifère marin a été déclarée et s’est soldée par la pose d’immenses filets qui, au final, ont tué davantage de dauphins et de tortues. Pareil pour les crocodiles. Qu’il s’agisse des crocodiles d’eau douce ou marins (bien plus gros), un accident (pourtant rare) déclenche immédiatement une paranoïa et des massacres (même si l’animal est maintenant protégé). Alors que, selon Marcel, il suffit d’apprendre à vivre avec le dit carnivore et de faire attention. Il semble que les premiers blancs qui sont arrivés ici n’ont pas pris la peine d’apprendre des locaux (il y a énormément de plantes locales consommées par les aborigènes que les anglais n’utilisent pas, préférant cultiver les plantes européennes) ni de s’adapter à leur nouvel environnement. Vraiment très dommage pour eux et triste pour la nature australienne. Après l’avoir détruite, on retrouve la faune et la flore locale dans des zoos ou centres de conservation, des jardins botaniques et parcs naturels protégés. Et les aborigènes se rassemblant parfois dans des camps…

Après la plage, direction la distillerie célèbre de Bundaberg. Et oui, tous ces immenses champs de canne à sucre ne servent pas qu’à produire du sucre. La rhumerie s’est implantée ici de longue date rendant célèbre ce rhum australien qui bizarrement, a choisi pour emblème… un ours polaire. Choix purement marketing !

Le soir, tandis que les parents de Marcel vont au club (restaurant, loterie et jeux de cartes à gogo !), c’est rugby à la télévision. Enfin non, c’est football, c’est comme cela qu’ils appellent le rugby à 13, le plus populaire. Le rugby à 15, ils l’appellent « rugby union ». Les équipes Broncos de Brisbane et les Storm de Melbourne s’affrontent.

Le lendemain matin de bonne heure, nous nous mettons en route accompagnés de Jean-Pierre. Préparation des sandwichs. Marcel doit rendre visite à un ami près de Brisbane, il pourra nous déposer plus loin. C’est les vacances scolaires. De nombreuses voitures remorquent un bateau et transportent sur le toit ou à l’arrière de pick-up des planches de surf. Dans le flot du système routier encombré en périphérie de cette grosse ville qu’est Brisbane, Marcel peine à trouver un endroit où nous déposer. Il fera bien 60km de plus pour nous laisser à un endroit acceptable. Nous les quittons chargés de fruits achetés sur le bord de la route, de chips et de sandwichs, ainsi qu’un gros livre sur la PNG offert par Jean-Pierre. Quelle rencontre !

Un auto-stoppeur Sino-Australien nous dépose à Gold-Coast, une ville un peu plus au sud. L’endroit où il nous dépose n’est pas très prometteur et nous sommes en fin de journée. Les hôtels sont très chers ici alors nous nous installons dans un pub pour la connexion internet et tentons de trouver un logement moins cher sur Airbnb. Finalement, un certain Mat vient nous chercher en 4x4 Mercédès à notre pub pour nous emmener chez lui moyennant 50$/nuit. L’Australie nous fait l’effet d’une poche percée ! Sur le chemin, il se fait arrêter par un policier pour excès de vitesse. Il recevra l’amende par sms. Pratique. 420$, ce n’est pas donné ! Tant pis, Mat réaccélère dès le policier hors de sa vue.

Nous resterons chez lui deux nuits, le temps de recharger les batteries. Mat est un iranien arrivé ici il y a 7 ans. Quand il apprend que nous venons de Paris, il sourit. Il adore, ainsi que de nombreuses villes historiques européennes. Les murs de sa cuisine arborent de nombreuses images en noir et blanc de la Tour Eiffel. Ne veut-il pas y aller ? Si bien sûr, mais pour le moment, il se concentre à gagner de l’argent. Le plus d’argent possible. Plus tard, il espère en avoir suffisamment pour s’acheter des maisons dans les pays où il aimera voyager. Ce sera facile. Il nous envie un peu de voyager comme ça. Mais bon, ce sera pour plus tard pour lui. En attendant, il travaille dur à vendre des camping-cars et il loue les chambres de sa maison. L’Australie est la terre où il semble facile de se faire beaucoup d’argent pour un peu que l’on soit prêt à travailler. C’est ce que viennent chercher des jeunes du monde entier, dans les grandes villes de la côte principalement. L’argent. Ce thème revient dans beaucoup de sujets de conversation (avec celui des chinois qui achètent tout !) avec les différentes personnes qui nous prennent en stop. Difficile à gagner et qui pourtant, selon Scott, disparait si vite entre les assurances, les pensions pour les gamins, la voiture etc... Son téléphone sonne. C’est son fils ado. Il voudrait que son père lui achète un nouveau jeu vidéo… Pourtant il est d’accord, ce n’est pas ça qui rend heureux. En Thaïlande où il a l’habitude d’aller - il y a sa petite amie du moment et il veut y monter un business de café pour les touristes australiens - on vit avec peu de choses. Et oui, les politiques du gouvernement prennent des décisions qui vont dans le sens du business et pas des gens. Et alors, quoi faire ? Je me rends compte que beaucoup de gens ne semblent pas satisfaits de la façon dont ils vivent et de la façon dont le monde tourne. Pourtant, ils peinent à changer. Quels sont les facteurs qui mettent les gens en route vers un changement ? Bonne question. J’imagine que c’est différent pour chacun. C’est certainement la raison pour laquelle un changement plus généralisé a du mal à intervenir.

Nous arrivons tard le soir dans Sydney et nous contentons d’un dortoir dans un hôtel de backpackers. Il est rempli de jeunes du monde entier cherchant le bon plan pour se faire de l’argent. Non, les dortoirs, ce n’est vraiment plus pour nous. Puisque le couchsurfing (gratuit) ne porte pas ses fruits ici, nous nous tournons vers une version commerciale Airbnb. Nous obtenons cette fois des réponses positives en quelques minutes. Nous nous retrouvons chez Nathalie et Seed, deux purs australiens de Sydney très sympathiques, notre base pour quelques jours pour découvrir cette grande mégapole.