Comme à chaque fois, je quitte notre lieu de volontariat avec une pointe de tristesse. Il ne m’aurait pas fallu encore longtemps pour me sentir complètement chez moi. Nous commencions à connaître les voisins, les habitudes, les façons de préparer les repas. Seuls les moustiques ont rendu ce séjour à la Dong Que Homestay un peu déplaisant. Pas un seul centimètre carré de mes chevilles a été épargné !

Dong Que Homestay est une coopérative gérée par Tien, sa sœur et 3 autres jeunes filles du village. Le tout est « supervisé » par Mister Cong, une sorte de mentor, une tête pensante qui prend plaisir à donner les idées et aider les jeunes filles. Cette coopérative a démarré l’année dernière seulement et tourne autour de plusieurs activités : auberge et restaurant (gérés principalement par Tien), artisanat local, et dans les prochaines années, production de café et de fruits et légumes locaux. Nous venions ici principalement pour travailler dans la plantation de café. En réalité, les plants sont encore trop petits et le sol n’est pas prêt. Nos principales missions sont donc de balayer l’auberge, faire la vaisselle et aider à la cuisine. Et nous nous rendons vite compte que nous n’aurons pas un rythme de travail soutenu, loin de là. C’est qu’ici, on vit avec peu de choses et on a de comptes à rendre à personne (pas même la banque, la maison est une maison de famille !). Alors on y va doucement et on prend le temps. Les journées sont rythmées par les repas, le soleil, et les quelques venues de visiteurs. Mister Cong a bien des idées pour améliorer le confort de l’auberge et faire venir plus de touristes. Mais leur réalisation se fera à maturation, le moment venu. Mathieu tourne un peu en rond. Il y aurait tellement de choses à faire… Optimiser et profiter de la présence de volontaires ? Non, les volontaires doivent faire avec leur culpabilité de ne pas travailler autant qu’ils s’imaginent devoir le faire. Le rythme est imposé par notre hôte, Tien. Elle ne nous juge pas sur notre quantité de travail. C’est nous qui avons cette valeur travail bien (trop ?) ancrée. D’ailleurs, partons tous faire un trek en montagne avec Tien et Mister Cong pour profiter de la vie et découvrir les environs. Terminée la culpabilité de ne pas travailler.

Ce trek sur toute une journée nous emmène à un sommet qui, si le ciel est dégagé, nous offre une superbe vue. Nous partons de bon matin, les 5 volontaires (le couple d’estoniens, une italienne et nous), un couple de jeunes voyageurs, Mister Cong, Tien et ses 3 chiens (la grand-mère, la mère et le fiston de 10 mois). Le ciel n’est pas très coopératif. Jusqu’au sommet, nous traversons des nappes de brume et de la pluie fine parfois. Les sangsues (terrestres) aiment l’humidité et agitent leur tête à la recherche de proie. Elles ressemblent à des petits lombrics redressés, la tête cherchant à s’accrocher à tout ce qui bouge. Tien et Cong en claquettes, moi en sandales ouvertes, voilà de quoi satisfaire leur appétit. Ces petites bêtes s’accrochent à mes pieds et grossissent de mon sang. Il faut les en arracher habilement avec une feuille (pour ne pas qu’elles se raccrochent aux mains). Certains en ont dans les chaussures qui cherchent à se faufiler entre les mailles des chaussettes. Heureusement, ça ne fait pas mal et laisse simplement une petite trace rouge. Passées les émotions des sangsues, nous poursuivons notre ascension en traversant de la forêt parfois dense de fougères, de feuillus, de palmiers. Arrivée au sommet, nous sommes trempés et moites. Nous prenons notre pique-nique en attendant que le ciel se dégage. Nous sommes tout d’un coup alertés par les cloches des chèvres et des bêlements. Les chiens, et particulièrement le petit dernier, s’amusent avec un chevreau… Nous arriverons trop tard pour le sauver. Dans une autre balade, coursés par de gros boucs, ils feront moins les malins. 14h30, il est temps de redescendre, il fait nuit tôt ici. La fin d’après-midi laisse finalement apparaître les rayons du soleil espérés. Nous voyons les rizières en contre-bas et même au-delà, des montagnes au loin qui me font penser à la dorsale des dinosaures. Cette vue et les bons moments ensemble valaient vraiment l’effort.

Au retour du trek, j’aperçois Tien qui sort de son sac 4 citrons verts. Je lui demande la raison. Elle de m’expliquer qu’en cas de morsure par un serpent, il faut mastiquer et manger des pépins de citrons. Haha ! Tout le monde sourit (jaune pour certains) d’apprendre à posteriori la probabilité de se faire mordre par un serpent…

A côté de l’auberge, il y a également de magnifiques cascades avec plusieurs bassins. Nous y allons, escortés par les adorables chiens. Voilà qui rafraîchit dans cette chaleur humide. C’est ce même torrent qui nous berce la nuit. Nous dormons tous dans des « chambres » séparées simplement par un rideau à l’étage (on dort traditionnellement à l’étage pour se protéger des animaux sauvages, et notamment, le tigre blanc qui existait encore par le passé). Levés tôt, couchés tôt. Le soir, allongés sur notre lit, nous observons à travers la moustiquaire les lézards parcourir les poutres et se régaler des insectes attirés par la lumière (la maison est complètement ouverte sur l’extérieur, pas de fenêtre). Nous dormons comme dans un cocon, à même le sol (c’est bon, nous avons maintenant pris l’habitude de dormir sur du dur).

Tout comme en Chine, les repas sont très importants au Vietnam. En cuisine, la préparation se fait selon des rituels bien établis. En tant que volontaire, il faut avoir su gagner ses galons pour espérer pouvoir participer. Observer, et imiter à la perfection. On lave la verdure 3 fois à grandes eaux, on épluche les poussent de bambou selon les consignes précisent, on enlève toutes les feuilles d’épinard d’eau qui auraient un mini défaut, on coupe d’abord le concombre en deux dans le sens de la longueur… Gare à celui qui voudrait prendre des initiatives. Tien et les autres cuisinières veillent. Tout doit être fait selon les règles de l’art ! Au début, nous sommes un peu déroutés avec leurs consignes si strictes (et pas forcément bien expliquées tant c’est une évidence pour elles). Elles préfèrent souvent le faire elles-mêmes. Après quelques jours, nous rigolons avec elles de leurs ordres, et arrivons presque à leur faire dire « please ». Mais le résultat en vaut la peine. Plusieurs plats (légumes, crudités, viandes, tofu, œufs) sont disposés sur la table et chacun se sert avec ses baguettes pour compléter son bol de riz. Un régal à chaque fois.

Au fur et à mesure que les jours passent, nous arrivons à apprivoiser la petite Tien. Son attitude autoritaire n’est qu’une façade. Ce qu’elle aime par-dessus tout, c’est rire et trinquer. Chaque jour, elle trouve une bonne occasion de sortir l’alcool de riz à table. Il arrive dans de petites bouteilles d’eau (fabrication artisanale) réparties autour de la table de façon à ce que chacun puisse servir les mini verres de ses voisins. « Zo ! » On trinque collectif ou on choisit son ou ses partenaires, comme une sorte de provocation en duel. Tien est la reine pour ça. Elle ne parle pas beaucoup d’anglais, mais le vocabulaire de l’apéro, elle connait : « empty ! » Ses joues et ses yeux rougissent. Réaction cutanée à l’alcool, comme beaucoup d’asiatiques. Je crois que c’est une manière pour elle d’être au centre de l’attention. Dommage que ce soit avec de l’alcool. Elle s’amuse à dire à tout va qu’elle est saoule. Les vietnamiens semblent n’avoir aucun complexe avec l’alcool. Elle a pourtant d’autres cordes à son arc pour être sur le devant de la scène. Un soir où nous accueillons deux touristes américains, elle enfile son costume traditionnel et avec ses quatre copines et nous offrent quelques danses et chants Tay, leur minorité ethnique. Leurs costumes sont beaucoup plus sobres et simples que ceux des Hmongs par exemple que nous avons rencontré plus tôt. Elles semblent très fières de leur culture.

Ces derniers jours, nous expliquons que nous voulons acheter une moto pour être indépendants et aller se promener dans les montagnes. Mathieu part avec Tien à la petite ville de Ha Giang pour en trouver une. Il revient bredouille. Peu de moto à vendre. Ici, les gens se déplacent principalement en scooter, pas assez puissant pour notre projet. Dommage. Nous reportons donc nos envies d’explorer l’arrière-pays en toute indépendance et nous rendons à Hanoi pour trouver notre monture. D’ici là, il me reste quelques heures pour profiter du bus couchette (très ingénieux ces vietnamiens !).