05/11/2017 – Ninh Binh - Vietnam – par Priscilla

A Hanoï, nous réussissons enfin à trouver notre moto, une 110cm3, de quoi frôler les 60km/h en descente ! C’est bien suffisant pour admirer le paysage et éviter les ornières. Nous voilà indépendants !

Hanoï est une ville qui grouille de monde. Nous logeons non loin du vieux quartier des 36 corporations. Des petites rues sympathiques dont pratiquement chacune possède sa spécialité : art religieux, bambous, fleurs, céramique… C’est très vivant. Nous zigzaguons tant bien que mal entre trottoir et route. Les trottoirs servent ici avant tout de parking à moto, de terrasses de restau (sur des petits tabourets en plastique) ou d’étals de marchands. Ils ne servent pas aux piétons. D’ailleurs, en dehors des touristes, personnes ne marche dans la rue. Les vietnamiens semblent être incapables de marcher plus de 200m. Ils sont tous sur des 2 roues. Piétons, nous évitons donc comme nous pouvons les innombrables scooters et vélos. Chaque traversée de rue se fait à nos risques et périls. A moto, difficile pour nous, européens, d’effacer de notre tête toutes les règles du code de la route que nous avons enregistrés. Ici, il n’y a pas de règles. A chaque carrefour, la masse des 2 roues qui arrive de part et d’autre ralentit et s’entrecroise sans anicroche. La circulation glisse naturellement à chaque croisement. A Hanoï, on retrouve aussi de nombreux cafés où s’installer tranquillement autour d’un traditionnel café filtre vietnamien (Mathieu adore !) ou de nombreux jus de fruits frais. Miam le jus d’ananas fraichement pressé !

Passage chez le dentiste pour Mathieu afin de régler définitivement son infection dentaire. Cette fois, nous allons dans une clinique française pour pouvoir bien expliquer les antécédents. Le médecin est un sympathique français à la retraite qui vit depuis 5 ans au Vietnam et qui occupe son temps entre cette clinique et de l’humanitaire dans un dispensaire au nord du Laos. Trois rendez-vous et une bonne facture plus tard, voilà notre Mathieu complètement guérit et rassuré.

Balade jusqu’au musée ethnographique d’Hanoï. Ce site met en avant les nombreuses minorités ethniques du Vietnam et notamment leurs habitations traditionnelles. Nous montons, déchaussés, dans de grandes bâtisses en bambou de formes très différentes représentatives des besoins des ethnies. Nous retrouvons avec plaisir le type de maison sur pilotis taï dans laquelle nous avions dormi chez Tien. Dans l’exposition sur la diversité en Asie du Sud-Est, une phrase d’introduction m’interpelle : « cette diversité est aujourd’hui menacée par la mondialisation. » Après réflexion, je crois que c’est autre chose qui menace cette diversité dans les tissus, les vêtements, les coutumes, l’art… Je ne pense pas que le fait de rencontrer un peuple ethnique différent conduise à les effacer. Au contraire, ça les valorise. Je crois que c’est surtout un sentiment d’infériorité qui détruit la diversité. Un jugement de valeur qui place la culture globalisée au-dessus des particularités ethniques. Un jugement qui s’insinue inconsciemment dans les esprits du monde entier (marketé et financé bien sûr par ceux qui y ont intérêt). Qui amène les minorités à abandonner leurs propres cultures pour LA CULTURE UNIQUE qu’ils estiment mieux. Ça me désole…

Culture unique – parti unique. Dans ce deuxième cas, on a l’habitude de parler de dictature.

Nous enfourchons notre moto et nous dirigeons à travers les embouteillages chez Hoa et Hai, en banlieue est de Hanoi. C’est un couple adorable que nous avons trouvé par l’intermédiaire de la plateforme couchsurfing. Nous allons dormir chez eux quelques jours. Hoa (la maman) et Hai (le papa) ont un petit garçon au tempérament explosif de 3 ans, qu’ils ont surnommé Moka, en bons amateurs de café. Au Vietnam, il est très courant de donner un surnom comme celui-là à son enfant. Hoa est partie étudier l’ergothérapie pendant 2 ans en Australie. Son mari Hai et leur petit Moka, alors tout bébé, l’ont accompagné. Contre l’avis de la famille et des grands-parents qui auraient préférés garder Moka avec eux pour ne pas le « déraciner ». Conflit de génération, m’explique-t-elle. Hai ne parlait pas un mot d’anglais et a appris le nouveau métier de barista là-bas. Il faut dire qu’il n’a pas peur d’apprendre. De retour au Vietnam, il a décidé de se lancer dans le marketing internet en autodidacte et travaille maintenant en indépendant. Hoa se cherche. Entre l’envie d’avoir un salaire correct, de passer assez de temps avec son fils et d’utiliser son travail pour quelque chose qui a du sens, cette période est assez compliquée pour elle. Elle ne veut pas non plus suivre la voie que lui indique sa famille : travailler dans le service public. Malgré les très bas salaires pratiqués, le gouvernement et les emplois publics bénéficient toujours d’une bonne presse parmi la population moins éduquée et plus âgée. L’oncle Ho (Ho Chi Minh, celui qui a proclamé l’indépendance du Vietnam) s’affiche partout. LE parti communiste, unique, génère encore beaucoup de respect (merci la propagande). Pour Hoa, il en est tout autre. Elle a pu expérimenter une autre façon de vivre en Australie. Elle voit maintenant le Vietnam d’un autre œil et ne se limite pas aux sources d’informations officielles pour se faire son opinion. Elle connait la corruption et la manipulation d’information. Elle sait à quel point la Chine est en train de mettre la main sur son pays. Elle me parle du scandale Formosa, du nom de l’industriel chinois. Tapez simplement dans votre moteur de recherche « Formosa Vietnam », et regardez les images qui sortent. Cette industrie chinoise pollue librement la mer en tuant tous les poissons, et en conséquence, tous les petits pêcheurs. Ceux qui osent manifester leur mécontentement (ou leur désespoir), pêcheurs comme activistes politiques, se font enfermer, et le gouvernement étouffe l’affaire, pourvu de satisfaire les chinois. A part internet, tous les médias sont verrouillés. Hoa est bien consciente de tout cela, mais que faire… elle se sent impuissante.

Ballade dans le village de Bat Trang, à l’est de Hanoï, où la spécialité est la céramique. Tout est fait main. Il y a des pots partout. Nous sommes chaleureusement invités par les ouvriers dans un atelier pour en voir la fabrication. Un peu plus loin dans une petite ruelle, on nous appelle pour venir boire le thé. L’accueil que l’on reçoit est vraiment très spontané et convivial partout où nous nous promenons. Et de plus, beaucoup de vietnamiens ont appris l’anglais, et pas forcément que des jeunes. Celui qui nous invite à boire du thé a étudié pendant 3 mois dans un institut d’anglais, puis pratique avec les étrangers à la moindre occasion. Je sens une grande impulsion dans ce peuple qui veut s’ouvrir au monde. Une impulsion en totale opposition à un certain conservatisme communiste encore bien ancré.

Autre ballade dans le temple bouddhiste Chua But Thap, à l’est de Hanoï. Ce temple est construit dans un style beaucoup plus zen que ceux que nous avons visité du côté du Tibet. Dans le village, nous sommes l’attraction : on veut nous prendre en photo.

C’est mon anniversaire. Pour fêter cela, voyant que Hoa et Hai ont un four dans leur cuisine, ce qui est très rare chez les asiatiques, nous décidons avec Mathieu de nous lancer dans la préparation d’un gâteau au chocolat. Nous nous heurtons à quelques différences logistiques et culturelles. Pas de beurre. Pas de moule à gâteau. Qu’à cela ne tienne, nous remplaçons le beurre par de la banane locale (très bon et plus diététique !) et le moule à gâteau par un wok ! Résultat au-delà de nos espérances !

Sanglages des sacs sur notre moto. Nous prenons le départ pour Cat Ba, une île dans la baie d’Ha Long. Nous allons enfin voir la mer. Depuis le temps que Mathieu attendait cela ! Après quelques heures de routes nous arrivons au ferry. La courte traversée nous amène sur cette très jolie île faite de montagnes, de grottes, d’un grand parc naturel et de plages de sable fin. Heureusement pour nous, c’est la saison basse, l’hiver commence, et il y a moins de touristes. La température pour nous est idéale, en short et débardeur. Pour les vietnamiens, il fait froid. Bonnets en laine sur la tête et doudounes sont de sortie. Nous trouvons une toute petite auberge qui ne paye pas de mine, à l’écart de la ville, où nous serons quasiment les seuls clients. Elle s’appelle Cat Ba Sweet Potato homestay et est gérée par une famille adorable. Sweet potato (patate douce) est le surnom de la fille ainée de 6 ans. Le fils cadet de 3 ans a pour surnom Maïs, en référence aux différentes envies de la maman du temps de la grossesse. Trang, la jeune maman de 31 ans m’apporte des couvertures de peur que nous ayons froid. Nous dormons avec une légère clim. Dai, le papa, est un chef cuisinier exceptionnel. Il travaillait avant dans des hôtels étoilés des environs. Sa carte présente principalement des plats occidentaux. Il est persuadé que les clients veulent retrouver leurs habitudes pour se sentir bien. Le choix de la musique du petit déjeuner dépend de la nationalité des clients. Nous lui expliquons que nous préfèrerions voir une carte de spécialités culinaires locales avec de la musique vietnamienne. C’est pour ce genre de découvertes que nous voyageons. Il ne semble pas convaincu, marqué qu’il est par le standing et le service offert des grands hôtels qu’il a côtoyés. Un sens du service marqué par le seau de la supériorité occidentale. Nous aurons tout de même droit à beaucoup de cuisine locale, et notamment des fruits de mer. Dès le soir de notre arrivée, nous partons à la pêche aux crabes avec le frère de Dai, de nuit, à marée basse. A peine notre sac posé et notre dîner terminé, nous nous retrouvons les pieds dans l’eau à chercher les crabes à la frontale. Plus facile à dire qu’à faire. Les pêcheurs expérimentés ont l’œil et la main rapide. Notre prise du soir se limite à deux malheureux petits crabes. Les autres nous ont tous filés entre les mains ! De retour à l’auberge, la pêche du jour (merci au frère de Dai !) est aussitôt cuite et mise sur la table. Nous entamons notre 2ème dîner improvisé vers 10h du soir. Il faut dire qu’en Asie, on dine tôt, souvent entre 17h et 19h30. Des crabes et quelques coquillages et crevettes arrosés de bière et de vin de riz. Les vietnamiens ne font pas tant de chichi avec les crustacés. Un jeune crabe qui est resté mou après la cuisson se mange entièrement d’une bouchée. Pour les autres, on enlève le plus gros de la coquille simplement, c’est pas grave si ça croque sous la dent ! Un autre soir, Dai est très fier de nous présenter son menu dégustation de fruits de mer, digne d’un grand restau. Nous nous régalons ! Des huîtres chaudes pour moi parsemées de cacahuètes. A la demande de Mathieu, ses huîtres sont servies crues, avec une sauce au piment. Mathieu qui pensait retrouver ses huîtres de l’Atlantique est déçu. Celles-ci sont différentes, très grosses et laiteuses. Elles sont bien meilleures cuites. En accompagnement, une salade de fleur de bananier du jardin : Miam ! Des coquillages au gingembre, un poisson avec une sauce aux fruits de la passion, du poulpe… Vive la cuisine locale !

Le matin, nous passons souvent un peu de temps avec Ha Anh (Sweet potato). Elle souffre d’une sorte de paralysie, elle ne peut pas commander ses jambes. Du coup, elle ne peut pas aller à l’école. Son terrain de jeu est la salle de l’hôtel où elle aime rire, jouer et apprendre un peu d’anglais avec les clients. C’est une gamine tellement pleine de joie de vivre malgré son handicap. Le matin, Trang, la maman est professeur de sport et de biologie dans un collège. Elle est debout dès 6h tous les matins pour emmener le petit à la crèche et commencer les cours à 7h. Elle fait des matinées en continu pour avoir ses après-midis de libre et aider à l’auberge. Elle fait aussi faire des exercices de rééducation à Ha Anh. Un soir, elle nous dit qu’elle va sortir après pour aller chanter avec ses collègues professeurs. Elle est d’accord pour que nous l’accompagnons. En lieu et place de ce que nous croyions être une simple répétition de chorale, nous assistons en fait à une cérémonie officielle en grandes pompes des services publics, sur une immense scène sonorisée sur la grande place près du port. Une équipe de chaque service public (administration, services portuaires, éducation…) présente une chanson devant un jury. Pas n’importe quelle chanson ! Je découvre en live, ce que je croyais définitivement rangé au rayon livre d’histoire à la page « propagande soviétique ». Gloire au communisme, à la force du peuple, au succès industriel ! Drapeau marxiste, chorégraphies militaires, chansons en l’honneur d’Ho Chi Minh. Trang chante discrètement dans la chorale. Elle a dû apprendre ces vieilles chansons qui ne lui plaisent pas trop. Elle préfère les chansons romantiques ou énergiques pour l’aérobique. Elle m’explique tout de même avec fierté qu’elle a réussi à être membre du parti depuis 2 ans. Elle me demande si je le suis. Je lui explique qu’en France, il y a au moins une dizaine de partis politiques. Elle semble surprise. Ce qui lui plaît dans le fait d’être membre du parti ? Elle aime le fait d’incarner le modèle à suivre. Par exemple, en tant que membre du parti, elle doit porter son casque à moto. Il y a quand même des petites choses qui la dérangent. Il s’agit de cette minorité de membres, à l’échelon local comme national, qui joue plutôt le jeu de leurs intérêts personnels. Chaque mois, elle assiste aussi à la réunion du parti où on présente les nouveaux membres et on parle des projets en cours. Notamment un projet de téléphérique pour amener les touristes au-dessus de la ville, à un point en hauteur qui offre une belle vue sur toute la baie. Des personnes vont devoir être expulsées. Ça ne lui plaît pas non plus… Trang, avec un anglais minime, n’a pas accès aux sources d’informations non officielles. Elle tombe sous le joug de la propagande du gouvernement. Néanmoins de l’intérieur, elle entrevoit tout de même les failles du système. Un petit dysfonctionnement qui, pour elle, ne remet pas en cause la machine.

Excursion de 2 jours en bateau. La baie d’Ha Long est vraiment magnifique. Des rochers qui sortent de terre et de mer et qui offrent des paysages en profondeur. Une sorte de brume laiteuse se pose continuellement sur l’horizon et fait prendre aux rochers des teintes bleues. Plus les ilots sont loin, plus on croit les voir s’évaporer. Des excursions en kayak nous font voir ces rochers de l’intérieur. Nous passons dans des grottes pour nous retrouver comme dans l’arène d’un stade, des falaises recouvertes de végétation en lieu et place de gradins, le chant mélodieux des oiseaux pour applaudissements. Exceptionnel.

Débarquement sur la plage de sable blanc de l’île aux singes. Elle est malheureusement devenue une usine à touristes, qui arrivent par dizaines. Les singes sauvages n’existent plus. Seule subsiste une bande de petits macaques terroristes qui volent les touristes. Mathieu se fait griffer en voulant éloigner l’un d’entre eux pris la main dans notre sac. Tourisme sordide, réaction animale tout autant abjecte. Triste condition animale.

En visite dans le parc naturel avec Trang, nous rencontrons de pauvres singes enfermés dans de tristes cages. Trang de nous expliquer que c’est encore la meilleure des situations pour eux. Ils ne seraient plus vivants s’ils étaient en liberté selon elle.

A 120 mètres d’altitude, nous dominons toute l’île de Cat Ba et des alentours. Point de vue grandiose ! Point de vue tout aussi grandiose, cette fois sous terre, dans les grottes aux stalactites brillantes.

Trang nous emmène aussi chez son oncle et sa tante pour un déjeuner rapide à base de soupe de noodles aux légumes et de coquillages. Alcool de riz maison aromatisé au miel des ruches des environs, tisane des montagnes, fruits du jardin. Tout est local ici ! J’adore ! Ils habitent dans le petit village de Lien Minh, au centre de l’île, à l’écart de toute agitation. Là, ils élèvent une race de poulets, le poulet Lien Minh, qui n’existe qu’ici et qui se vend à prix d’or. Entre poussins et gros coqs, ils en ont près de 150 ! Nous repartons d’ici avec une petite bouteille de miel de leurs ruches. Un régal !

Atelier gâteau au chocolat avec Ha Anh et ses petites voisines avant un dernier dîner en compagnie de la Sweet Potato family. Encore un festin ! Nous les quittons tristes et très heureux de les avoir rencontrés.

Nous prenons le ferry dans l’autre sens et rejoignons la région de Ninh Binh, plus au sud, connue pour sa « baie d’Ha Long terrestre », notre dernière ligne droite avant le Laos.