Déjà deux semaines que nous sommes arrivés en Thaïlande et nous nous préparons à passer Noël dans une famille un peu différente. Même si nous avons une petite pensée pour ces bons moments de Noël qui vont nous manquer, il faut avouer que, en short sous un bananier par 25-30°, en sirotant une noix de coco fraîche, avec les criquets qui nous offrent un concert chaque soirée, nous avons un peu de mal à embrasser l’esprit de Noël.

Le passage de la frontière du Laos s’est fait on ne peut plus naturellement, avec un supplément à payer car nous traversons pendant un weekend. Toutes les occasions sont bonnes ! Le bus nous dépose à Nong Khaï, la ville frontière thaïlandaise, sur l’autre rive du Mékong. Ce fleuve prend des couleurs rosées sublimes au coucher du soleil. Quelques touristes asiatiques se baladent. Ils viennent aussi se promener dans le marché réputé pour tous ses produits venant des pays alentours. Nous nous installons dans une petite auberge pour quelques jours avant d’arriver à Gaïa. Nous n’avons rien de particulier à faire, ni à visiter. Quelques promenades le long du Mékong, lessives, un peu de surf sur internet, des temples. Nous passons pas mal de temps dans le café d’à côté. Nous échangeons avec une italienne, également à l’auberge. A 75 ans, elle voyage seule depuis un moment. Tout au plus, elle passe 2-3 mois en Italie chaque année. Inde, Philippines, Cuba, Afrique du Sud… Elle a voyagé sur les 5 continents. Elle est chez elle partout. Elle est veuve et n’a pas eu d’enfant. Déjà lorsque qu’elle travaillait comme avocate, elle s’arrêtait de travailler quand elle avait assez d’argent et partait pour un ou deux mois. Sa philosophie de vie tient en 3 mots : love, traveling (le voyage), reading (la lecture). Elle m’impressionne par sa connaissance du monde et sa capacité d’adaptation.  

Un petit creux : une mangue découpée par le marchand, pas complètement mûre et servie avec une poudre, mélange de piment, de sucre et de sel. C’est comme ça qu’ils les aiment. Plus nous descendons dans le sud, plus ça promet d’être relevé !

Sur la terrasse du café, nous sympathisons avec un local. Il a une passion : les grands arbres. Il se désespère de voir que les industriels coupent tous les grands arbres pour construire des usines. Quand il peut, il les rachète, les déterre et les transporte ailleurs où ils pourront continuer à grandir. Ou pas… Il poursuit son rêve avec la meilleure intention du monde mais avec encore un peu d’amateurisme. Les arbres ne survivent pas toujours. Son rêve est de construire un musée où les arbres, et particulièrement les grands arbres, seront à l’honneur. Dans un parc pas très loin, et aussi dans la galerie d’art. Sa passion dévorante cohabite avec son métier de policier. Pour combien de temps encore ? Lorsque je lui explique l’endroit où nous nous rendons pour les 2 prochaines semaines, ses yeux brillent. Ça l’intéresse beaucoup de voir comment une ferme-communauté-école de permaculture peut vivre en harmonie avec la nature. C’est décidé, il nous y emmène. Nous sommes hésitants. Cet homme m’inspire la plus grande confiance, mais en parallèle, nous avons lu que beaucoup d’étrangers se font avoir avec des thaïlandais malins qui savent se montrer tellement gentils qu’on les croit amis. Nous suivons tout de même mon instinct qui s’avère bon cette fois. Nous montons à bord de son pick-up tout neuf. Petit détour vers son terrain où il est fier de nous montrer ses arbres. Arrivés à Gaïa, il est ébahi et prend des photos du lieu pendant qu’on nous fait la visite. Il s’en va heureux de sa découverte. Moi, je suis contente d’avoir été un « pont » entre un local et ce lieu international.

Gaïa est un magnifique projet. Au départ, des terres rendues infertiles par une culture intensive du riz à coups de pesticides, et un couple néerlando-thaï. Nous n’aurons pas la chance de les rencontrer, ces-derniers rentrant en Europe pour les fêtes de fin d’année. Mais le projet est suivi par plusieurs volontaires, dont certains qui sont ici depuis plusieurs mois. C’est une machine qui tourne bien. Sur place, un chinois, un espagnol, une péruvienne, une canadienne, une réunionnaise, une finlandaise, un autre français, une philippine, et une thaïlandaise, la manager qui gère la logistique de toute la communauté. Nous rejoindra plus tard une allemande installée ici depuis un an et qui gère les volontaires. Le projet principal de Gaïa est de restaurer la terre avec des techniques de permaculture. La permaculture est une philosophie globale qui se concrétise par de nombreuses techniques, le tout visant à produire plus de nourriture tout en enrichissant les sols et protégeant la planète pour les futures générations. Graham Bell a une définition qui me plait bien : « La permaculture est un aménagement consciencieux du paysage, qui imite les modèles trouvés dans la nature, pour produire en abondance, de la nourriture, des fibres et de l’énergie, afin de combler les besoins locaux. » Un exemple de l’application de la permaculture est de miser beaucoup sur des associations de plantes pour qu’elles se complètent et bénéficient l’une de l’autre. On retrouve également de nombreuses pratiques du quotidien plus en harmonie avec la nature et qui ne l’endommage pas (construction naturelle, toilettes sèches, recyclage etc…). C’est tout ce que nous retrouvons ici à Gaïa.

Nous intégrons chacun l’un des trois groupes de travail. Moi le jardin et Mathieu la construction naturelle. Je désherbe, plante, repique, sème, arrose. Pendant ce temps-là, Mathieu prépare de la boue avec ses pieds pour enduire les murs de la salle commune avec de l’argile et l’enveloppe du riz. Il y a aussi 3 groupes de tâches domestiques que nous prenons à tour de rôle : cuisiner, faire la vaisselle, s’occuper du compost (vider les toilettes sèches notamment – et non, ça ne sent pas si mauvais). En permaculture, l’utilisation du compost est vitale pour nourrir les sols. Nous produisons tous les jours du futur compost, c’est vraiment dommage que ce soit perdu. Au moins là, ça rentre dans la boucle, rien ne se perd ! Ce lieu tente au maximum d’appliquer le concept de permaculture, et c’est grandiose !

En plus de la permaculture, Gaïa se veut aussi être un lieu d’inspiration, y compris spirituel. Etre, manger, travailler la terre en pleine conscience. Méditations et célébrations de la Terre mère, de la Lune, de la nourriture. Par rapport à la ferme de Xay au Laos, qui parlait peu mais faisait beaucoup pour la Terre et les Humains, cette spiritualité nous semble un peu trop exacerbée. Certaines incohérences nous déplaisent. Nous regrettons de ne pas travailler main dans la main avec les locaux qui restent dans leur coin. Autre exemple, l’objectif premier étant de régénérer le sol, des végétaux sont plantés uniquement pour apporter des nutriments à la terre. Il en résulte une très faible production de légumes qui ne permet pas de nourrir tout le monde ici. On achète donc les fruits et légumes à l’extérieur, plein de pesticides (et qui vont se retrouver dans le compost). Ou encore : on nourrit les 6 chats et 2 chiens avec de la saucisse industrielle dégoutante tandis que tout le monde est végétarien. Pendant ce temps-là, les chats chassent tous les petits animaux qui font du bien à la biodiversité du jardin. J’imagine qu’aucun projet n’est parfait… Facile de juger après tout le travail qui a déjà été fait. Les intentions n’en restent pas moins respectables et nous nous réjouissons que de tels lieux existent. Chapeau ! L’endroit demeure un vrai petit paradis de nature dans lequel on se sent bien.

La vie en communauté m’apprend aussi beaucoup. Ici, on travaille et on vit tous ensemble. Difficile en simplement deux semaines de se faire sa place parmi des volontaires présents sur plusieurs mois. J’apprends donc à me recentrer sur moi et mes besoins. Tous les échanges en deviennent du bonus et des affinités se créent. Mae, la petite thaïlandaise, est ma préférée. Nous rions de tendresse devant sa naïveté débordante. Pourquoi elle est venue à Gaïa ? « Parce que je suis une mauvaise personne et que je veux m’améliorer et faire du bien autour de moi. » Bien sûr tout le monde rit, elle est tellement adorable.

Balade en vélos dans le village à 10 minutes et tour du lac. Ce bleu est magnifique. La Thaïlande promet de beaux paysages.

Pour l’heure, préparatifs de Noël. Alfonso démarre le feu dans le four à bois, les pains d’épices que j’ai préparés n’attendent plus que de cuire. Mae et Rachel, thaïlandaise et philippine, n’ont jamais célébré Noël. Elles sont presque plus excitées que nous. Chacun met la main à la pâte pour passer un réveillon de Noël presque comme à la maison.