Nous avons quitté le Laos cet après-midi. Nous avions prévu d’aller visiter le nord-ouest du pays, encore plus nature. Mais les distances et les obligations de visa pour la Thaïlande à la capitale nous ont fait préférer redescendre tranquillement jusqu’à Vientiane. 4 étapes bien différentes pour nous.

Le chemin retour depuis la ferme de Xay s’est fait beaucoup plus en douceur. Nous avons adopté le rythme « piano-piano » de Pablo, même au guidon de Lucky. La rivière se passe en délicatesse. Nous restons quelques jours à Nong Kiaw, la petite ville à 15 kilomètre de la ferme de Xay, histoire de nous reconnecter un peu. Nous dormons dans une auberge tenue par la famille d’un des guides que nous avons vu passer à la ferme. Petite ascension d’un pic qui domine la rivière Nam Ou. Quel beau spectacle de rivière qui serpente au milieu des montagnes recouvertes de jungle ! Le soir, nous sommes invités avec les amis du guide en question. Un canard a été tué un peu plus tôt dans l’après-midi. A côté des grillades, l’un des plats est tout simplement du sang avec des herbes, des cacahuètes et du citron. Le tout, arrosé de Laobeer et de laolao. L’un des guides nous explique qu’il a appris par lui-même à parler anglais. Un anglais parfait. Une détermination admirable qu’il a su activer pour s’en sortir. Ses parents n’avaient pas les moyens de mettre leurs enfants à l’école. Les ainés qui ont appris l’anglais par eux-mêmes l’ont même enseigné aux cadets pour leur assurer un avenir. Chapeau ! Au cours de la soirée, nous avons l’agréable surprise de voir notre bon vieux Xay et son compère Sam arriver avec le 4x4 de son père. Retrouvailles ! Ils viennent livrer des choses du village et Xay en profite pour venir se connecter. Il montre également les photos des déchets de la cascade aux autres guides présents. Ses derniers sont conscients que ce n’est pas bien de laisser les déchets, mais expriment leur impuissance (ou leur manque d’engagement). La lutte promet d’être longue.

Après un petit décrassage, Lucky nous emmène à Luang Prabang, l’ancienne capitale du Laos, érigée au patrimoine mondial de l’Unesco. Mélange de style traditionnel laotien et d’influence coloniale. C’est sûr, cette ville qui a été préservée de tout building moderne a un certain charme. Pour ma part, je n’arrive pas à l’apprécier. Je vois surtout qu’elle est davantage habitée par les touristes et les guesthouses, les cafés et les boutiques souvenirs. Du coup, la traversée d’un pont de bambou ou du temple en haut de la colline devient payante. Difficile même, de photographier gratuitement le coucher de soleil tant les cafés et restaurants ont installés leurs terrasses privées le long du Mékong. Le marché de nuit s’installe avec son flot d’artisanat, authentique ou pas. Les buffets de nourriture laotienne, majoritairement dans les tons marrons et verdâtres. Les buffets végétariens destinés aux touristes, dans les tons plutôt jaunes, rouges, oranges et verts. Quel fossé entre la vie laotienne proposée aux touristes et celle que nous avons expérimentée à la ferme avec les villageois.

Direction Kasi, une petite ville plus au sud, et la Nolla Guesthouse, repérée sur internet. Cette auberge rustique et sympathique est située dans un petit village et a la particularité d’être tenue par un uruguayen haut en couleur nommé Alejandro. Il est tombé amoureux de cette famille 15 ans plus tôt après avoir été pris en stop. Depuis il s’est installé là et a créé l’auberge avec les membres de la famille. Notre mini-chambre donne sur la rivière. Je retrouve les bruits apaisants de la nature pour m’endormir. Ici, chacun a un rôle. Alejandro s’occupe des réservations et de l’argent. Il fait aussi l’animation, surtout au petit-déj, c’est un rigolo. La jeune maman Khome et sa cousine Nolla (elle est née au moment de l’ouverture de l’auberge) préparent les repas pour les invités. Elles maitrisent leur art de la cuisine à la perfection ! Séanne, la maman de Khome, fait en sorte de toujours laisser un panier de fruits du jardin (clémentines, pomelos et bananes principalement). Ils ont aussi du café pour leur propre consommation, qu’ils font sécher, griller puis moudre. Le « Captain », le papa de Séanne et doyen, est le guide pour qui veut découvrir les environs. Il est le seul de la famille à parler anglais. Il a appris pendant la guerre, aux côtés des américains dans le service de la médecine. Son engagement lui a valu d’être emprisonné 3 mois par les communistes à la fin de la guerre en 1975. Il a vu beaucoup d’horreurs. C’est après qu’il a fondé sa grande et joyeuse famille avec 7 enfants. A l’auberge vivent ensemble 4 générations avec la petite dernière, Tina, de quelques mois, la fille de Khome. Ils vivent davantage comme une communauté, avec chacun qui vaque à ses occupations et des moments partagés avec qui veut. Le jour de la pleine lune, c’est comme un jour férié pour les bouddhistes. Les femmes, toutes générations confondues se retrouvent à l’ombre d’un abri en bambou. Une femme vient leur rendre visite pour leur vendre des herbes médicinales. Elle passe de maison en maison. On se soigne au naturel et sans docteur ici. Toute l’après-midi, les femmes mangent des épis de maïs, s’épilent, s’extasient devant la petite Tina. La petite passe de bras en bras. Ici, les mamans ne sont pas exclusives avec leurs enfants. Séanne, à 42 ans, est donc récemment devenue sa grand-mère. Elle adore la pouponner, comme si c’était son propre enfant. Elle lui donne même le sein pour la calmer et peut-être par la suite pouvoir l’allaiter. Ici, c’est normal.

Nous devons quitter ce coin paisible et bien sympathique pour rejoindre Vientiane et profiter des 2 jours ouvrés qu’il nous reste pour faire nos visas thaïlandais. Nous nous rapprochons de la capitale. 200km de circulation qui se densifie et de poussière. Notre dernier long trajet avec Lucky. Nous avons hâte d’arriver. N’ayant eu de réponse favorable en couchsurfing, et ne voulant pas séjourner dans un hôtel impersonnel, nous nous sommes rabattus sur une réservation sur Airbnb. Une jeune femme qui loue une chambre chez elle et qui a des commentaires sympathiques. Nous arrivons épuisés dans une maison un peu à l’écart du centre-ville. Un peu malade, je passe la première journée à me reposer tandis que Mathieu se charge de vendre notre belle Lucky. Nous arrivons dans le consulat thaïlandais au milieu de quelques 700 autres personnes avec le même objectif que nous. Mais la machine thaïlandaise est très bien roulée. Nous y retournons le lendemain après-midi pour récupérer nos visas. En un peu plus de 24h, l’administration est capable de délivrer les 700 visas (et d’encaisser les 700 000 baths au passage). Belle performance !

Nous nous baladons un peu dans Vientiane. Beaucoup de temples, la rive du Mékong qui fait la frontière avec la Thaïlande, les cafés « français » (amis alsaciens, il y a même un Winstub !), le marché de nuit. Nous en profitons surtout pour rester tranquille dans la maison, cuisiner un peu, se reposer. Il fait très chaud la journée !

Nous passons notre dernière soirée avec Somthida, notre hôte. Une jeune femme active qui travaille dans le milieu de l’art, d’une famille plutôt aisée à en voir tous ses voyages et ses études à Detroit aux Etats-Unis. Nous nous apercevons vite que le monde dans lequel elle vit à Vientiane est à l’opposé des expériences que nous avons vécues dans le milieu rural laotien. Un norvégien, qui loue une autre chambre chez Somthida et qui vient d’arriver au Laos, dîne avec nous. Nous avons l’impression que le pays qu’elle lui décrit n’est pas le même que celui que nous venons de traverser. Etrange. Un pays à deux visages : un rural, chaleureux, lent, proche des traditions, de la nature et parfois aussi très rude ; un autre citadin, confortable, accueillant beaucoup d’expatriés, de magasins, de loisirs, au rythme soutenu qui court après l’argent. Le Laos, jusqu’à maintenant est l’endroit où nous avons le plus vu de disparité « économique ». Vientiane déborde de petits manoirs et de gros 4x4 tout neuf. Peu de vieilles voitures, une richesse assez récente. De l’autre côté, nous avons vu des villages en haut des montagnes qui faisaient vraiment mal au cœur. Ce n’est pas tant une question de moyen financier et de possession. En Mongolie, beaucoup de familles nomades possèdent très peu. Elles ne m’ont pourtant pas donné l’impression d’être « pauvres ». C’est que la culture nomade est adulée en Mongolie. Les nomades, qui sont pauvres au sens économique du terme, ont donc la tête haute. Ce n’est pas le cas des « pauvres » du Laos, qui sont repoussés au plus haut des montagnes. Le Laos mise sur le tourisme pour réduire la pauvreté et se prépare pour son « Visit Laos year 2018 ». Foutaise. Le gouvernement développe des zones « occidentalisées » pour pouvoir accueillir des étrangers avec le confort minimum qu’ils attendent et leur permettre de dépenser le plus d’argent possible dans des activités créées de toute pièce pour eux. Et où ira tout cet argent ? Je doute qu’il soit réinjecté dans des programmes d’aide aux villageois. Mais plutôt peut-être à construire des routes et développer des infrastructures pour permettre à l’ami chinois de venir tranquillement implanter ses usines, créer du « travail » et de la dépendance à la consommation. Histoire que le système tourne bien pour ceux qui veulent gagner de l’argent.

Nous venons donc d’arriver en Thaïlande et avons maintenant hâte de rejoindre bientôt la ferme Gaïa, à seulement 25km de la frontière du Laos et où nous allons rester 2 semaines.