Nous prenons la direction de Surabaya, une très grosse ville côtière javanaise, d’où nous embarquons demain pour deux jours de bateau pour rejoindre la Sulawesi et notre prochain volontariat. En attendant, nous voyageons à regret en bus. Nous avons tellement galéré à réserver notre ferry, que le temps a passé, et quand nous réussissons enfin, il n’y a plus de place dans le train… que j’aurais tant aimé tester.

Déjà au lac Toba sur l’île de Sumatra, nous essayons d’acheter notre billet pour le ferry en ligne. Mais le paiement doit se faire depuis le distributeur d’une banque (c’est comme ça qu’ils font les virements ici) dans les deux heures. Mais l’île de Samosir, sur le lac, est plutôt rurale, et les banques ne courent pas les rues (nous réussirons plus tard depuis Yogyakarta avec l’aide de notre ami couchsurfer et son amie qui travaille en agence de voyage).

Cette région du lac Toba est une très belle découverte de bleu et de vert. La lumière y est sublime avec toujours un petit voile blanc qui flotte au loin sur le lac. Rafraichissant ! Au sud-est de l’île, la côte se transforme rapidement en falaises verdoyantes abruptes. De quoi nous offrir quelques beaux panoramas lorsque nous faisons le tour en scooter. Au milieu, un petit lac tranquille autour duquel paissent des buffles. Ça amuse Mathieu : un lac, sur une île, dans un lac, sur une île, dans la mer.

C’est dimanche, jour de messe, les églises sont pleines. Le parking de scooters est plein lui aussi. La communauté batak, qui vit dans la région, est majoritairement chrétienne et très pratiquante. Dans chaque village, plusieurs églises, catholiques ou protestantes, parfois à quelques centaines de mètres seulement les unes des autres, se disputent les nombreux fidèles. Nous les voyons pour le coup très « endimanchés », talons au pieds et robes traditionnelles colorées pour les femmes, robes de princesses pour les petites demoiselles, chemises batik (motifs typiques indonésiens), pantalons et mocassins pour les messieurs. On identifie facilement la culture batak par l’architecture imposante de leurs maisons traditionnelles. Elles ressemblent un peu à un énorme bateau avec des décorations sculptées comme de la dentelle. A l’inverse des karo, dont les maisons aux sommets carrés se font maintenant rares dans le paysage, les maisons traditionnelles batak semblent encore assez bien résister à la poussée de la maison individuelle en béton.

Le jour de marché, nous décidons de nous régaler avec des fruits tropicaux. Bizarrement, les indonésiens ont pléthore de fruits à manger, mais nous les retrouvons uniquement en jus de fruit dans les menus des restaurants. Ils ne semblent pas aimer autant que nous ce cadeau de la nature, préférant le riz et la friture. Dommage. De plus, ils rajoutent souvent aux jus de fruits du sucre (mais nous découvrirons par la suite que les javanais ont le palais encore plus sucré que les habitants de Sumatra – est-ce possible ?). Alors c’est parti pour le régal sans sucre ajouté : un durian, bien sûr ; du mangoustan, notre préféré ; des petites mangues mûres à point ; un corossol, dont nous découvrons la saveur sucrée qui fait un peu penser au chewing gum ; et des petits duku (ou Langsat), au goût qui rappelle étrangement le raisin blanc. Ajouter à cela quelques sucreries locales à base de riz, de noix de coco et de sucre brun. Un plateau de fruits tropicaux grandiose !

Nous découvrons sur l’île de nombreux cacaotiers. Nous apprenons que les fèves de cacao, une fois séchées au soleil, sont exportées à Java pour y être transformées en… chocolat !

Nous sympathisons avec les personnes de notre charmante petite auberge et notamment Suzi, la petite dame qui est arrivée ici depuis Berestagi suite à l’éruption du volcan Sinabung. Nous sommes contents de réutiliser nos quelques mots de karo. Elle m’apprend à faire sa crêpe locale à base d’œuf et de farine, de noix de coco et de sucre brun. Ici, on ne trouve que des pains de sucre brun issus d’un certain palmier. Il a un peu le goût du sucre de canne non raffiné. Encore un délice !

C’est bien beau l’Indonésie des sucreries, mais nous avons pris un visa d’un mois à l’arrivée, et nous devons aller au centre d’immigration pour le renouveler. Nous en avons pour la journée avec au moins 4 heures de transport aller-retour (ferry + taxi et ou bus). Nous préférons faire nos démarches ici dans la ville de Siantar, peut-être moins habituée aux étrangers. Nous espérons ainsi avoir notre extension dans la journée et pouvoir négocier plus facilement le fait que nous n’avons pas de billet d’avion retour, pièce nécessaire au dossier. Et ça marche comme sur des roulettes. Les quelques heures à attendre passent très vite à discuter avec les indonésiens qui viennent ici pour créer leur passeport et qui patientent également. Dans la cour du centre d’immigration, un petit boui-boui excellent qui nourrit les futurs détenteurs de passeport. Je commande un jus d’avocat, considéré davantage comme un fruit ici. Celui-ci est donc servi en jus, sucré et arrosé de chocolat. Surprenant car mon palais n’est pas habitué, mais très bon et riche ! On y revient toujours aux sucreries…

Notre départ très matinal de l’île est récompensé par un magnifique levé de soleil. Les quelques pêcheurs déjà à l’œuvre depuis longtemps dans leurs petites barques ne semblent même pas remarquer cette performance artistique exceptionnelle aux tons rosés que nous offre le ciel. Surement habitués. Après le ferry, quelques heures de route en taxi local partagé et en bus nous attendent. Nous découvrons l’ampleur du problème environnemental qu’est l’huile de palme. Des plantations de palmiers sur des kilomètres. L’exotisme du palmier nous ferait presque oublier que c’est toute la jungle qui est peu à peu grignotée pour faire pousser cette mine d’or à une échelle industrielle. Avons-nous vraiment besoin, en Europe, de consommer de l’huile de palme et tous ces produits industriels qui en contiennent ? Les conséquences sont dramatiques ici pour la biodiversité.

Notre bus nous amène à l’aéroport de Médan. Et oui, nous reprenons l’avion, l’un des modes de transport les plus populaires ici tellement les distances sont importantes et les routes mauvaises. Nous avons longuement hésité car nous voulions éviter au maximum de prendre ce moyen de transport gros émetteur de carbone et qui surtout nous propulse à des kilomètres sans nous permettre de vivre de transition. Mais la limite de notre visa et notre envie de vivre des expériences humaines (notamment couchsurfing à Yogyakarta et wwoofing en Sulawesi par la suite) plutôt que routières (vive les journées de bus sur des routes encombrées et cabossées !) a fait pencher la balance en faveur de l’avion… ça ne me plait pas beaucoup, mais nous n’avons pas trouvé de troisième alternative convenable.

Nous sommes donc propulsés à Yogyakarta. Dans les autres pays d’Asie où nous sommes allés, sur plusieurs tentatives où nous avions pourtant contacté de nombreux hôtes, nous avions reçu peu, voire pas du tout de réponses à nos demandes couchsurfing. Nous n’avons, par conséquent, pas pu concrétiser de couchsurfing en Chine, au Laos, en Malaisie ou encore en Thaïlande. Cette fois, pour assurer le coup à Yogyakarta, j’avais contacté une 10aine de personnes. Et devinez-quoi ? L’Indonésie est un pays super accueillant. Nous avons reçu beaucoup de réponses positives et nous retrouvons même à devoir dire non… Trop dommage ! Nous choisissons de séjourner avec Olwin, un jeune garçon de 26 ans pour qui c’est la première fois qu’il reçoit des couchsurfers. Et nous ne serons pas déçus !

A notre question sur le moyen de transport à utiliser pour arriver chez lui depuis l’aéroport, il répond qu’il vient nous chercher ! Royal ! Quel bonheur d’arrivée dans une ville, environnement tellement impersonnel, en sachant que quelqu’un nous attend avec le sourire. Il arrive comme convenu, avec son ami Anas qui a une voiture. Direction le café « Roti van Java », le café-resto où Olwin travaille en tant que manager marketing. Il veut à tout prix nous faire gouter la spécialité : du pain toasté recouvert de cheddar râpé et de chocolat. Oui, oui, ici on mélange tout, et c’est plutôt très bon. Les produits laitiers, qui avaient disparu pour nous depuis les communautés musulmanes de Chine, réapparaissent ici sous forme de boissons et de fromage (ne nous emballons pas, nous parlons simplement de cheddar). Lorsque nous expliquons à Olwin qu’en France, il y a au moins 365 sortes de fromages, il a du mal à le croire.

Olwin est un jeune homme grand et sec très intelligent et aux grands yeux tendres. Il est originaire de Bornéo et est venu à Yogyakarta, ville étudiante, pour y mener des études informatiques… qui s’éternisent un peu. Il habite à l’extérieur du centre-ville dans un quartier résidentiel tranquille, dans une petite maison prêtée par le père de sa copine. Olwin et Anas sont restés très proches depuis leur rencontre à l’université. Nous passons le lendemain avec ces deux-là. Anas, originaire de Yogyakarta, veut nous faire découvrir le petit-dèj typique, le pecel (prononcé pétchel), à base de riz, de légumes verts, de sauce à la cacahuète et, au choix, de beignets de viande, de tofu ou de tempeh, sorte de beignets de soja fermenté. Après un faux départ en deux-roues, nous arrivons finalement au restaurant du petit-dèj en voiture. C’est encore la saison des pluies ici, et avant même d’arriver, il se met à tomber des trombes d’eau. Anas et Olwin savent très bien que cela peut durer toute la journée. Ils nous laissent dans un café et repartent chercher la voiture. Eux sont des habitués du poncho de pluie !

Ensuite, direction la plage. Nous découvrons une mer très agitée. Ses vagues remuent le sable volcanique noir pour colorer l’eau en marron. La saison des pluies n’est pas la meilleure saison pour profiter de la plage. Celle-ci est jonchée de déchets. Ils proviennent de la mer, et des cours d’eau qui se jettent dedans. Nous sommes en pleines vacances scolaires indonésiennes. Quelques touristes indonésiens pique-niquent et ne semblent pas se soucier de ce désastre écologique. En voyant notre réaction, Olwin prend conscience de la situation. Il photographie avec son téléphone les restes de tubes de dentifrice, de couches, et autres emballages de grande consommation. Plus tard, il s’excusera tout penaud auprès de nous pour les déchets qui lui ont peut-être appartenus.

Quelques heures de voiture plus tard (les embouteillages ont surpris Anas !), nous visitons les ruines du temple Ijo. Ce n’est pas un endroit très touristique comparé à Borobudur, mais il est connu pour offrir de beaux couchers de soleil. Et effectivement, sur place, beaucoup d’amoureux en ce jour de Saint-Valentin (qui est populaire ici depuis seulement 3-4 ans). Avec Anas et Olwin, nous parlons beaucoup d’amour. Et curieusement, nous en parlons comme une source de problème. Anas est fou amoureux de sa petite amie depuis 3 ans. Selon les traditions locales, ils doivent se marier pour pouvoir vivre ensemble. Le doux Anas a à cœur d’être un bon musulman (la religion officielle et majoritaire à Java). Il ne fume pas, ne boit pas, et incarne du mieux qu’il peut sa religion dans la tradition familiale. Mais son cœur est pris… par une jeune catholique. Il voudrait se marier avec elle, mais il voudrait qu’elle change de religion. D’une part parce que c’est la règle (les mariages inter-religieux sont interdits, donc, au moins officiellement, elle doit devenir musulmane) et qu’il veut rester un bon musulman. Et d’autre part parce que s’il part vivre avec une catholique, cela voudrait dire se mettre sa famille à dos. Dilemme ! Tout est confus pour lui, il ne sait plus vraiment. C’est vrai, elle a le droit de pratiquer la religion qu’elle veut. Mais ce serait tellement plus simple si elle acceptait de changer. Nous lui conseillons tout de même d’envisager l’option où elle souhaite rester catholique. Trop difficile de se projeter dans cette option-là. L’amour d’une femme contre le poids de la religion et de la famille. Son cœur balance. Olwin quant à lui est avec sa petite amie depuis 4 ans. Il est également musulman bien qu’il ait fréquenté les deux églises (de père musulman et de mère officiellement musulmane sur ses documents d’identité, car c’est la règle, mais officieusement chrétienne). Il est, ce qu’Anas qualifie en rigolant, un mauvais musulman, car il fume et boit à l’occasion. Lui aussi aimerait se marier avec sa petite amie de même confession. Mais il fait face à un autre genre de problème. Sa petite-amie vient d’une famille plutôt aisée. Sa demande en mariage auprès de son beau-père doit s’accompagner d’une offre d’argent. Une somme à la hauteur du milieu social de sa fiancée. Il doit aussi mettre de l’argent de côté pour payer le mariage qui devra être grandiose avec des centaines d’invités. Et cet argent, bien qu’il travaille dur, il ne l’a pas. Difficile pour nous d’imaginer que cette belle chose qui est l’amour puisse représenter un tel casse-tête. C’est en réalité bien plus que ça. Ils nous expliquent que s’ils partent quelques jours avec leurs chéries, les pères de celles-ci peuvent les accuser de kidnapping, peine passible de prison, et les obliger à se marier illico. J’avais en tête que la pratique de la religion contraignait surtout les femmes à un statut inférieur. Mais je réalisais là qu’elle contraignait tout autant les hommes, à un statut supérieur certes, mais avec toutes sortes de responsabilités qui leur incombent et qu’ils n’ont pas choisies non plus. Olwin, avec son style de vie moderne, ne serait pas contre une vie à deux d’égal à égal avec sa fiancée. Face à ces situations compliquées, Anas et Olwin patientent dans un statu quo en attendant que la situation se débloque, on ne sait comment. Dur, dur…

Allons gouter une autre spécialité locale pour le dîner : le gudeg. Il s’agit d’un curry de fruits du jacquier, qui accompagne du riz et auquel s’ajoutent œuf, tofu, tempeh, poulet et – ou peau de buffle, au choix. Dans le meuble vitré qui présente toute la nourriture disponible, comme il est d’usage dans tous les restaurants, tous les plats sont marrons, la couleur du sucre. Olwin, qui a dû s’habituer à la cuisine javanaise, dit d’elle qu’elle est soit trop sucrée, soit trop pimentée. Quelques jours plus tard, Mathieu fera les frais de la version trop pimentée avec la bouche en feu, les yeux qui piquent et des douleurs aux pommettes. Lui qui pensait apprécier des aubergines, son légume préféré !

Balade en soirée dans l’avenue Malioboro, les Champs-Elysées de Jogja (le surnom de Yogyakarta). C’est très animé avec énormément de touristes indonésiens. Ils viennent vider leur porte-monnaie dans les stands de batik et autres babioles et friandises locales. Des chevaux, qui font peine à voir dans ces embouteillages permanents, attendent les touristes dans leur carioles. Des hommes, souvent secs et parfois âgés, attendent eux-aussi les touristes dans leur rickshaw, une sorte de vélo avec des sièges devant. Esclavage moderne. Dans cette longue avenue, nous croisons des groupes de musique locale appelée angklung dangdut. Ils sont nombreux avec plusieurs instruments en bambou. Uniquement des percussions. Le rythme est enjoué et les passants s’agroupent tout autour et dansent. J’embarque Anas avec moi pour aller danser.

Arrivés au bout de l’avenue, nos deux amis réclament une pause. Ils ont besoin de s’assoir, ont mal aux jambes. C’est que l’indonésien (enfin cela semble être valable pour toute l’Asie) ne marche pas. Pour les distances supérieures à 200m, il enfourche son deux-roues motorisé. C’est la première fois qu’ils remontent la totalité de cette avenue à pieds, c’est dire. Sans parler des quelques deux kilomètres de balade à la plage du matin. Les petits commencent à avoir les jambes lourdes ! Haha ! Quand nous leur disons que nous nous sommes rencontrés à l’occasion d’un trek de 100km, les bras leur tombent ! Olwin trouve que Mathieu lui fait penser à Tony Stark, Iron Man. C’est sûr qu’Olwin et Mathieu n’ont pas la même musculature ! Anas profite de notre présence et de la discussion sur l’hygiène de vie pour faire pression sur son ami Olwin pour qu’il arrête de fumer. Parce que nous étions occupés tous ensemble aujourd’hui, c’est vrai, il n’a pas fumé. Il décide d’arrêter. Houra !

Le jour suivant, journée de pluie en continue. Nous nous faisons offrir un parapluie, évitons de peu une arnaque pour touristes, et allons chercher à l’office de tourisme des informations pratiques qui ne nous aident pas beaucoup. Nous sommes épuisés d’avoir marché une bonne partie de la journée sous la pluie dans cette ville sans trottoir et à la circulation très encombrée, et très peu équipées de bus à part dans le centre touristique. Nous sommes en manque de nature. Le volcan Merapi, qui fume, au nord de la ville, existe-t-il des chemins de randonnée pour s’y balader ? Non, nous répondent, surprises, les jeunes filles de l’office de tourisme. Tout au plus, nous pouvons aller voir le volcan en bus. Quel est l’intérêt d’aller « voir un volcan » en bus ? Une montagne, ça s’appréhende progressivement, de bas en haut, avec des points de vue qui changent, la terre sous les pieds, les chants des oiseaux. Sans surprise, ils n’ont pas de carte des environs qui nous permettraient de nous y balader à pieds. Petit conseil si vous voulez randonner quelque part en Asie, venez avec vos cartes achetées en France !

Un ami d’Olwin nous prête son scooter. Nous décidons d’aller explorer le coin de Mangunan, un point de vue que nous conseillait Anas. Nous appréhendons un peu de partir sans carte (nous n’avons toujours pas réinvestit dans un téléphone) sachant qu’à part dans le centre-ville, il n’y a pas de panneau d’indications de rue. Après deux tentatives de montée de la montagne avec redescente au garagiste, nous arrivons. Malheureusement, nous arrivons trop tard pour le fameux paysage de brume et la grande quantité de touristes qui arrivent au sommet en voiture juste pour une photo et consommer ne nous invitent pas à nous attarder. Nous redescendons dans une petite ferme sur la route pour un déjeuner bio. Ça fait du bien !

Reste maintenant à dire au revoir à notre nouvel ami Olwin. Snif ! C’est génial le couchsurfing quand ça marche !