11 heures de bus pour parcourir 300km (petite route défoncée et embouteillée !) et nous arrivons péniblement à Surabaya, une grosse ville de quelques millions d’habitants au nord-est de Java, d’où nous partons le lendemain en bateau. Nous avons la matinée pour faire quelques achats (fruits et livre en anglais pour notre futur hôte) et récupérer notre ticket de bateau dans l’agence. Expérience pénible pour moi. Déjà, la chaleur humide rend le moindre déplacement éprouvant. A peine sortis de la douche, que nous sommes déjà moites. Mais en plus, le centre-ville où nous sommes est totalement conçu pour les véhicules motorisés. Pollution + casse-tête pour traverser la moindre autoroute, tout ça pour se retrouver dans un centre-commercial chic avec les mêmes enseignes que partout ailleurs.

Finalement, notre bateau est retardé. Il partira dans la nuit. Nous pouvons donc prendre notre temps et profiter du marché local juste à côté. Nous faisons le plein de fruits pour le bateau et découvrons un nouveau fruit, l’annone, dont la chair me fait un peu penser à une poire bien mûre. Et puis nous ne pouvons résister à entrer dans ce café spécialisé dans le chocolat. Quand-même, du chocolat produit localement, ça ne se refuse pas ! Notre expérience gustative ne s’avère tout de même pas à la hauteur de nos attentes, celles-ci étant à la mode européenne. Ici, le cacao est consommé un peu comme du café, avec de l’eau et de la glace. Et puis, ils n’ont pas vraiment de chocolat à croquer. Evidemment, sans frigo par 40 degrés, ce chocolat-là n’a pas vraiment sa place ici. Nous nous en mettons quand même plein les moustaches !

Direction le port et notre bateau qui se fait attendre. Nous sommes les seuls étrangers et notre présence réveille la curiosité des passagers endormis sur le sol. Quelques contrôles et nous montons à bord. Nous découvrons les immenses dortoirs de peut-être 2-300 personnes dans lesquels nous allons passer les 2 prochains jours. Avant que le bateau ne se mette en route, nous nous amusons du défilé de vendeurs ambulants qui passent entre les rangées de lits : énormes ours en peluches, nouilles instantanées, riz-coco emballé dans une feuille de banane, montre en or, appareils électroniques… Il semble y avoir des acheteurs pour toute cette camelote. Nous observons aussi les passagers se mettre à l’aise et se préparer à dormir… pour les imiter. Le lit est dur comme il faut. Il y a même de l’eau dans les toilettes et les douches et 3 repas sont compris dans ce mini-prix. Presque parfait, si ce n’est peut-être la présence un peu trop exacerbée de cafards, la chaleur étouffante, la lumière allumée 24/24h, et tous ces messieurs qui fument malgré l’interdiction.

Enfin bon, le pont est un endroit agréable où se balader. J’ai l’impression d’être sur le Titanic. Nous avons la chance, entre deux selfies, de pouvoir y observer les magnifiques couchers de soleil flamboyants. Les selfies… Toutes les jeunes filles sont béates devant moi. Elles me trouvent belle et veulent se prendre en photo avec moi. Mais comment étaient les relations avant le téléphone et les réseaux sociaux ? Que les gens me regardent, ce n’est pas un problème. Je suis différente, ils sont curieux, moi aussi je fais pareil. J’aime les échanges de regards qui sont souvent suivis d’échanges de sourires et éventuellement de discussions. Ça ne me dérange pas, bien au contraire. Mais de plus en plus, j’entends « selfie ! » ou « photo ! » avant même ce premier échange de regards. Selfie qui, une fois réalisé, voit le détenteur du téléphone disparaître aussi soudainement. Je n’évoque même pas les photos et vidéos prises à notre insu. Ces selfies sont tellement « selfish » (égoïste). Que sont devenues la curiosité, la simplicité d’un échange ? Non seulement j’ai l’impression d’être le singe du zoo, ce qui est, une fois la considération de la flatterie effacée, très désagréable, mais c’est surtout très triste pour ces jeunes gens qui ne saisissent pas l’opportunité d’apprendre d’un étranger et qui ne pensent qu’à leur image sur facebook.

Sur le pont s’engagent tout de même de bonnes discussions. Un jeune homme vient nous aborder. Il fait des études pour devenir capitaine de bateau à l’international et il souhaite pratiquer son anglais avec nous. Il a vraiment dû lui falloir beaucoup de courage pour venir nous parler. Nous voyons ses lèvres tressaillir de peur. Que sont ces poissons / oiseaux que nous voyons, comme faire des ricochets à la surface de l’eau ? Des poissons-volant ! Il nous explique qu’il voit souvent également des dauphins sautés le long du ferry. Et effectivement, nous voyons un peu plus tard des dauphins et même le geyser de ce que nous croyons être une baleine au loin.

Nous sympathisons avec la famille aux côtés de laquelle nous dormons. Ils ne parlent pas un mot d’anglais mais nous partageons des fruits et des partis de dominos avec leur fils trisomique trop marrant. Nous observons la vie à bord. Sur le pont supérieur, il y a une mosquée, qui, comme sur les terres, résonne à différentes heures de la journée. Je remarque quelques hommes qui se démarquent un peu par leurs tuniques, leurs turbans, et leurs yeux noircis au khôl. Ils vont voir les jeunes hommes qui fument sur le pont. Après discussions, ces hommes accompagnent les jeunes rechignant à la mosquée. Ce type, de ce qui me semble être, du prosélytisme un peu forcé me fait froid dans le dos.

A l’heure des repas, nous allons en cuisine avec notre ticket. Et là, nous découvrons un spectacle effroyable qui se répète à chaque repas. Chaque personne se voit remettre un plateau en plastique avec un couvercle, une cuillère, un petit paquet de snack et un gobelet en plastique capsulé. Le tout jetable et contenant principalement du riz et une petite portion de légumes à l’eau sans saveur, accompagné parfois d’une tête ou d’une queue de poisson. Imaginez la quantité de déchets (et les odeurs qui vont avec) pour quelques 500 personnes après 3 repas par jour. Un passager nous explique que pourtant, il y a quelques années encore, les repas étaient bien servis dans un bol. Tellement triste… Je suis tellement triste d’avoir toujours une histoire de ce style à raconter dans chacun de mes articles…

Escale au petit matin à Makassar, histoire de nous remplir l’estomac de nourriture un peu plus savoureuse et nous voilà déjà arrivés à Bau-Bau, au sud-est de la Sulawesi. Le lendemain, nous prenons un bateau local pour aller sur l’île de Muna. Nous sommes choqués de voir des femmes complètement voilées avec gants et chaussettes… par une chaleur étouffante. Dans le bateau, un bébé, lui aussi couvert comme les bébés le sont chez nous en hiver. Nous n’avons vraiment pas le même corps… Arrivés sur l’île de Muna, un taxi partagé nous amène à notre point de chute pour deux semaines, un volontariat trouvé sur wwoofing. Sur le chemin, nous longeons la mer que nous voyons pour la première fois si turquoise. Le ciel se noircit dangereusement. Nous essuyons un orage aussi puissant que soudain. Ici aussi, les orages sont quotidiens. Quelques jours après notre arrivée, nous vivons un orage des plus impressionnants. En quelques minutes, la route se transforme en torrent et la foudre tombe tout près. Les petits voisins s’amusent sous la gouttière.

Nous sommes donc accueillis par Tono, un petit bonhomme tout sourire. Il habite une petite maison colorée sur pilotis avec sa mère et ses deux nièces adolescentes, Niar et Anti. A 26 ans, Tono est très ambitieux et a de grands projets pour sa communauté. Il a démarré il y a quelques mois des cours d’anglais pour les ados qui le souhaitent l’après-midi. Victime de son succès, il a même ouvert un cours du soir certains jours de la semaine. A côté de cela, il veut développer son jardin pour produire la nourriture pour toute sa famille et les volontaires qui arrivent en nombre. Lorsque nous arrivons, Lisa, qui vient d’Allemagne est déjà présente. Nous sommes bientôt rejoints par Ewa, de Pologne, Javi d’Espagne, Konosuké du Japon et Anneke et Freek d’Hollande. Beaucoup de volontaires étrangers ! Au début, nous sommes très déçus de cette situation. Nous pensions être les seuls sur place. Mais après quelques jours, nous comprenons la fierté et l’engouement de Tono à recevoir plein d’étrangers et à accepter toutes les demandes de volontariat. Il apprend énormément de tous. Ça l’aide à changer et évoluer. Il note toutes les idées dans son cahier et les transforme en objectifs. Il se nourrit de notre différence de culture. Son envie d’apprendre fait plaisir à voir !

Et nous aussi allons encore beaucoup apprendre !