Ça m’avait manqué le train. Mention spéciale pour le train thaïlandais qui vient directement se positionner à la seconde place derrière le train russe (je ne sais pas si on pourra le détrôner celui-là).

Nous repartons donc à Chiang Mai avec Nice au volant de son pick-up. Elle est attendue pour 2 jours de séminaires avec sa récente promo de l’école d’agriculture. Elle en profite pour faire une livraison de riz et nous déposer. Je suis un peu triste de quitter Nice. La communication n’avait pourtant pas été évidente avec elle. Nous devions parfois lui arracher les informations sur ce qu’elle attendait de nous les prochaines heures. Mais pour notre dernier jour, une conversation plus informelle au café de son ami a détendu l’atmosphère. Nous nous sommes aussi expliquées ce que nous ne comprenions pas, que l’autre ne comprenait pas. Quand on ne se parle pas, on ne peut interpréter les paroles et comportements de l’autre qu’à travers notre propre cadre de référence, c’est-à-dire notre éducation, notre culture, nos valeurs, nos habitudes etc…et quand on vient de pays aussi différents, forcément c’est un peu plus compliqué. Exemple : Nice interprétait notre long souffle après le repas comme une marque d’ennui alors qu’il ponctuait un repas bon et copieux. Ou encore, elle s’agaçait et ne comprenait pas pourquoi j’hésitais lorsqu’il s’agissait de choisir au marché les plats à acheter pour le soir. Elle pensait que je pinaillais pour de l’argent, tandis que je cherchais à savoir de quoi et pour qui exactement était composé le menu pour acheter la quantité juste et éviter du gaspillage. Bref, nous avons parlé et je continue d’admirer sa détermination à avancer malgré les obstacles.

Sur la route qui nous mène à Chiang Mai, deux barrages de police. Les hommes armés interrogent Nice, qui baisse la tête, sur sa marchandise, puis nous laissent repartir sans faire d’histoire. Banalité de la présence militaire. La Thaïlande est un royaume doté d’une junte militaire. Curieuse combinaison pas franchement démocratique. La famille royale possède le plus gros « budget marketing ». Le roi est accroché au mur dans chaque maison ou chaque magasin, dans les voitures et sur les calendriers. Chaque édifice publique, pont, stade, école, hôpital, gare etc, affiche un portrait géant d’un membre de la famille royale, encadré de dorures et parfois surplombant une table à offrandes. En Thaïlande, l’acte de lèse-majesté est encore passible d’emprisonnement de plusieurs années. Balade dans une expo photos de Chiang Mai. Il s’agit d’un ensemble de plusieurs séries réalisées par des groupes d’étudiants. De jolis photos pour la plupart… où les sujets pausent avec un portrait du roi. Des textes accompagnent les séries. Ils décrivent des projets d’initiative ou de financement royal, comme par exemple une aide au développement de la culture maraichère pour remplacer la culture d’opium ou la création d’un barrage. Les étudiants précisent à quel point ils ont vu, en faisant le reportage, le bonheur des gens qui ont bénéficié de ses coups de pouce royaux, à quel point leurs vies se sont considérablement améliorées, et ce, grâce au bon et merveilleux roi… Une invraisemblable pommade. Je ne connais pas les détails des agissements du roi, ni son degré de sincérité, mais il est clair que l’unanimité et l’exagération dans sa « vénération » est digne des meilleures propagandes.

Quelques jours de plus dans le centre tranquille de Chiang Mai. Je saisis l’opportunité d’un massage thaï. C’est un salon de massage sans chichi conseillé par l’adorable Kiki de la guesthouse. On m’attend avec un bain de pieds citronné. Puis je me change pour une espèce de pyjama très large. Le massage thaï se pratique sans huile. Les vêtements amples permettent de masser sans irriter la peau. Je m’installe sur un matelas dur entouré de rideaux. C’est une dame d’une cinquantaine d’année qui prend place à mes côtés. Douce et ferme en même temps. Le massage thaï se situe à mi-chemin entre le massage bien-être et les manipulations de l’ostéopathe. Parfois ça fait du bien, parfois ça fait mal. En masseuse expérimentée, elle repère avec une facilité déconcertante tous les nœuds qui coincent. Mes épaules ont pris cher avec le sac-à-dos. La masseuse manipule avec tout son corps : ses mains, ses avant-bras, ses coudes, ses pieds. C’est aussi très physique pour elle. Au final, je sors du salon avec tout de même la sensation de quelques courbatures, mais je me sens beaucoup plus légère dans mon corps. A refaire !

Autre cliché, autre ambiance. Nous réservons nos places pour une soirée de combats de boxe thaï. Mathieu et moi n’avons jamais vu auparavant de sport de combat. Ce n’est franchement pas une chose qui m’attire mais l’idée d’une nouvelle expérience, qui plus est typique, me convainc. Nous partageons notre tuc-tuc avec d’autres français qui semblent s’y connaître en boxe thaï. Nous arrivons dans une grande salle avec un ring central surélevé et des gradins tout autour. Jeux de lumières et musique de « bad boy » à fond pour chauffer la salle. A notre grande déception, les gradins se remplissent presque exclusivement de touristes. Pour l’expérience locale, c’est raté. Les combats s‘enchainent avec parfois de très jeunes boxeurs, peut-être 12 ans, certainement de clubs locaux. Ils combattent sans casque jusqu’à épuisement de l’un ou coup « fatal » de l’autre. On entend les coups de pieds dans les côtes, on voit les hématomes violets qui se forment. Je suis comme pétrifiée par ce déferlement de violence dont je suis pour la première fois spectatrice. Une manière pour eux d’expulser leur agressivité. Plutôt positive finalement puisque le tout est encadré par des règles strictes qui préviennent le coup de trop et garantissent un respect mutuel. Le peu de thaïlandais qui sont dans la salle sont soit de l’équipe d’encadrement, soit des parieurs. Ces derniers sont une dizaine, plutôt des papis, qui donnent l’impression de jouer leur vie tant ils s’agitent en fonction des bons coups de l’un ou de l’autre des boxeurs. Les billets passent de mains en mains à la fin des combats. Dans le tuc-tuc sur le chemin du retour, les français expriment leur déception. Pas tant sur le fait que c’était plus une « attraction » touristique qu’un événement local. Mais sur le fait que les combats n’en étaient pas vraiment, qu’ils ne se battaient pas à fond. De faux combats de boxe pour faire illusion… un attrape-touristes bien ficelé en quelque sorte. Tout de même impressionnant pour nous.

Nous laissons maintenant derrière nous la vie douce de Chiang Mai, pour prendre le train de nuit pour Bangkok. Je me réjouis de cette nouvelle expérience. Le train m’avait manqué. Je découvre avec une agréable surprise le train couchette thaïlandais. Une vieille machine qui fume avec un intérieur aux tons marrons qui me rappelle le transsibérien. Il fait chaud, et l’atmosphère moite est rafraichie par des ventilateurs et surtout des fenêtres qui s’ouvrent en grand. Quel bonheur de regarder les paysages de jungle et de campagne thaïlandaise défiler lentement, les cheveux au vent.

A 18h, notre train est arrêté en gare. Une musique très forte se fait entendre des haut-parleurs. Je questionne le contrôleur qui passe justement là. Il nous demande de nous lever. Il s’agit de l’hymne nationale, qui se joue comme tous les jours à 8h et 18h, et pendant laquelle il faut observer une minute de silence, ce que nous faisons.

Je replonge dans mon bouquin : une excellente biographie de Che Guevara, par Lucia Alvarez de Toledo. J’ai eu envie de m’intéresser au personnage après avoir traversé le Laos. Là-bas, nous avons vu une quantité incroyable d’autocollants à l’effigie du Che collés à l’arrière des voitures. J’avais interrogé Alexandro, l’uruguayen farfelu de l’auberge de Kasi, sur les raisons de cet engouement. Il m’avait répondu que les événements passés du laos avaient créé une certaine proximité avec l’icône du révolutionnaire libérateur, mais que pour autant, ils étaient certainement tous ignorants de la vraie histoire du personnage. Moi non plus, je ne connaissais pas grand-chose de cette figure emblématique et j’ai saisi l’occasion à la première librairie anglaise. J’apprends qu’il se lance dans l’action révolutionnaire à la suite d’un long voyage du sud jusqu’au nord de l’Amérique latine. Le voyage… Docteur spécialisé dans la lutte contre la lèpre, c’était avant tout un touchant humaniste qui n’acceptait pas de voir des citoyens, et notamment les indigènes et les pauvres de manière générale, être traités d’humains de seconde zone. L’impérialisme américain était devenu pour lui le principal fléau à combattre.

Nous arrivons à Bangkok au petit matin sous une pluie battante alors qu’il fait encore nuit. Balade dans Chinatown et Little India. Ces quartiers de marchés ont le mérite d’être majoritairement couverts (même si le plus difficile est d’éviter les grosses gouttières qui dégoulinent des bâches) et de proposer de la nourriture de rue très diversifiée. Une librairie (Mathieu, qui dévore maintenant les livres, et moi, sommes bientôt à court de lecture) et un petit resto français (après presque 200 jours de voyages, ça faisait un moment que Mathieu attendait de se faire ce petit plaisir !) nous amène à parcourir la ville à pieds et en métro. Nous traversons des 2 x 2-3 voies encombrées de voitures, passages entre de très hauts building, dans des centres commerciaux modernes. Une prise de conscience terrible : ici tout est écrit en anglais et comme dans n’importe quelle grande ville du monde entier, les gens montent les mêmes escalators de centres commerciaux, respirent le même air conditionné, portent les mêmes vêtements, les mêmes marques, mangent les mêmes muffins sucrés. Jean-Pierre, un médecin français rencontré à Bac Ha au Vietnam, un sacré personnage, nous avait raconté l’histoire d’une réunion qui aurait eu lieu un jour entre quelques chefs de multinationales désireux de gouverner la planète : des banques et l’industrie agroalimentaire. Ils décidaient de devenir les maîtres du monde en rendant les gens dépendant du besoin d’argent et des banques, ainsi que de la drogue plus communément appelée sucre. Histoire ou réalité ? En tout cas, ça peut paraître plausible tant ils auraient réussi leur coup ! En témoigne ne serait-ce que le nombre impressionnant de « pâtisseries » et de « cafés » à l’américaine où les jeunes thaïlandais se délectent de sucreries chimiques « occidentales » de toutes les couleurs. Constat remarqué dans toute l’Asie, continent qui traditionnellement mange très peu de sucreries. Asservissement globalisée ? Que penserait le Che s’il était témoin de tout cela ? Que vont devenir toutes les particularités locales ? Qu’avons/allons-nous gardé de nos traditions régionales françaises ?

Le soir sur le chemin du retour, nous remontons par hasard une rue animée à grand renfort de lumières et de musique. Nous nous apercevons vite que cette rue est composée uniquement de bars devant lesquels des groupes de jeunes thaïlandaises rabattent le « mâle blanc ». Très cliché n’est-ce pas ! Ces demoiselles sont bien sûr en sous-vêtements sexy (il fait très chaud tout de même !). Chaque bar, sa tenue. Et chaque fille, son numéro clairement visible. On ne ferait pas mieux à un concours de beauté de la race bovine ! Effarant…

Pour clôturer cette courte visite de Bangkok, promenade dans le grand parc Lumphini, le « central park » de Bangkok, au milieu d’immenses buildings. La traditionnelle roseraie d’Europe est remplacée ici par une palmeraie. Les daims, paons ou autres animaux de la ferme que l’on retrouve parfois dans les parcs, prennent la forme ici… de crocodiles ! Non, une observation plus poussée nous fait reconnaitre d’immenses iguanes qui nagent dans les bassins et se prélassent au bord de l’eau. Whaou ! Autre continent, autre faune…

Nous revoilà maintenant dans un autre train de nuit pour Trang, tout au sud de la Thaïlande (Zuuut, notre voiture est glacialement climatisée et les fenêtres scellées… beaucoup moins drôle…). La mamie thaïe sur la couchette à ma droite se prépare sa feuille de bétel avec sa poudre blanche qu’elle mâche en guise de dentifrice. Objectif : rejoindre demain les plages de sable fin de l’île de Koh Lanta. Quelques vacances pendant notre voyage ?.