Ça y est, nous avons passé l’Oural, la frontière naturelle qui marque le passage de l’Europe à l’Asie. Ekaterinbourg, Omsk, Novosibirsk, Krasnoyarsk… Nous voilà dans la Sibérie intérieure. Les villes sont de plus en plus petites. Nous arrivons à Irkoutsk ce soir à l’heure de Moscou, mais en plein milieu de la nuit heure locale. 5000km parcouru en train en 4 jours avec 5 heures de décalage. Plus de repère… Est-ce-qu’on petit-déjeune ou déjeune ? On ne sait plus vraiment. Il n’y a plus d’heure pour manger les soupes déshydratées, les concombres ou le saucisson.

Nous avons bien évidemment sympathisé avec nos voisins dans le train. Le hasard nous a fait rencontrer Mikhaïl, un papi tonitruant qui est tout de suite venu se présenter à nous. Il raconte des histoires à n’en plus finir, histoires que je ne comprends pas et qu’il s’obstine à vouloir m’expliquer à renforts de gestes. Il en est presque fatiguant à la fin de la journée. Mais bon, il en est pas moins très gentil et généreux. Il est artisan maître sculpteur sur cristal. Il nous a donné hier soir un escarpin de Cendrillon en cristal. Voilà qui ne va pas arranger le poids de nos sacs ! Plus tôt, il m’a remémoré les règles du jeu de cartes le plus populaire en Russie, DOURAK (« idiot »). J’étais son partenaire de jeu contre Mathieu et Deniceï. Le malin, il n’aime pas perdre et se retrouve soudain trop pris de fatigue pour continuer alors que nous menons. C’est qu’il a du caractère : il boit son thé avec 5 sucres (!) et t’ordonne de faire de même sous prétexte que ça vient de sa grand-mère ! J’imagine qu’il doit être un bon papi gâteau avec ses petits enfants dont j’ai vu les mignonnes petites têtes blondes en photo. Lorsque les arrêts sont suffisamment longs, il insiste pour nous prendre en photo dans les gares. Novosibirsk ! C’est là où il s’est marié. « Où allez-vous après le lac Baïkal ? » Il a fait son service militaire à Oulan Bator justement !

Hier soir, c’était drôle. Il se chipouillait avec une autre voisine, Zoïa, à propos de la lumière qui s’éteignait soi-disant beaucoup trop tôt. Zoïa a bien la 50aine et un caractère aussi bien trempé doublé d’une pipelette. Elle est prof de philo et aime beaucoup la littérature. Elle est très gentille mais elle a le défaut d’aimer le poisson séché. Elle empeste ! Hier soir avant que Zoïa et Mikhaïl ne boudent, l’humeur était très festive et Zoïa a même poussé la chansonnette. Joe Dassin, l’un des chanteurs français les plus connus en Russie avec Mireille Mathieu et Patricia Kass. Et Deniceï de nous accompagner avec sa voix de ténor. Il nous racontait combien c’était mieux avant dans le train. On pouvait chanter, jouer de la guitare et boire jusqu’à pas d’heure. Pour lui, c’est ça l’âme russe. Aujourd’hui dans le train, l’alcool est interdit et l’extinction des feux se fait à 22h (enfin, on ne sait pas 22h de quel fuseau horaire, l’objet de la prise de bec !). Deniceï nous montre une vidéo de lui à la maison jouant de la guitare et chantant un air festif russe. Il est fier de nous partager ce qui représente pour lui la vraie Russie, celle qu’on ne trouve pas à Moscou. Deniceï est militaire. Il est entré dans le train plus tôt avec 2 jeunes qu’il a sous ses ordres. Ils ont avec eux une quantité impressionnante de nourriture, entre rations de l’armée et colis de la famille, dont ils nous font profiter : fraises, biscuits, pitchénié faits maison (sorte de chausson-beignet fourré tantôt à la viande, œuf-ciboulette, pomme-de-terre…). Il est plein de bonhomie Deniceï et il a l’air de s’occuper des 2 jeunes avec beaucoup de bienveillance. Ils sont tout timides et pas très dégourdis. Il y en a bien un qui a tenté sa musique sur son téléphone : dance, rap russe… Il n’a pas fallu longtemps à Zoïa pour y mettre un terme.

Allez, il nous reste une journée pour profiter du bercement permanent du train et des paysages de forêts de bouleaux ou de sapins entrecoupés d’immenses prairies vertes et violettes et de villages d’isbas (maisons typiques en bois).