Depuis ma couchette dans le train, je vois les paysages qui ont complètement changé depuis les déserts du Xinjiang. Mathieu dort encore dans sa couchette au 3ème niveau. Musique chinoise dans les haut-parleurs. Les marchands passent et repassent pour vendre des nouilles instantanées, saucisses emballées à l’unité, pattes de poulet sous vide (ils ont l’air d’adorer machouiller ça !), épis de maïs, boissons et autres grignotages. Nous enchaînons les tunnels qui traversent les montagnes. Un immense fleuve boueux en contrebas. Des petites cultures en terrasse. Végétation luxuriante. Il pleut. C’est la fin de la saison des pluies vers le sud de la Chine. Wuwei où nous sommes arrivés un peu par hasard après le nord-ouest chinois avait déjà bien changé de couleur. Nous passions de l’ocre au vert. Nous ne nous arrêtons qu’une journée à Wuwei. C’est une petite ville chinoise (toute proportion gardée, 1,5 millions d’hab) très peu touristique. Elle est surnommée le « Bordeaux chinois » pour sa production de vin. Nous n’aurons pas la chance d’y goûter. Les chinois ici n’ont pas l’habitude de voir des occidentaux. On nous dévisage avec insistance, on nous prend en photo en cachette (ça doit vraiment être pénible d’être une star !), ou encore on nous agrippe par le bras pour nous « forcer » à poser à leurs côtés pour une photo express, d’une façon que l’on pourrait presque qualifier de grossière en France, sans aucun préambule. Voilà qui ne va pas m’aider à percer ce qui m’apparaît comme le « paradoxe chinois » : d’un côté une superficialité débordante dans les relations, les comportements, la façon de vivre ; de l’autre une profondeur qui force le respect dans la spiritualité et l’art. - Il est 8h30 du matin, des odeurs de nouilles et d’œuf dur remontent aux couchettes supérieures… - A Wuwei, nous visitons un temple bouddhiste qui, fort heureusement pour nous, ne semble présenter que peu d’intérêt pour les touristes chinois et n’a donc pas été dénaturé. Petit bijou que ce temple avec ses peintures, ses divinités (parfois très amusantes d’ailleurs, avec des sourcils longs comme des cheveux), ses bouddhas bienheureux, sa fumée d’encens. Dans un des petits temples, une cérémonie : des hommes tous habillés en marron (moines ?) assis sur des chaises autour d’une table pleine d’offrandes de fruits. Derrière eux des femmes (des nones ?) assises. Ils récitent en cœur des prières ponctuées de gong. La pratique du bouddhisme ici est différente de la Mongolie. De ce que nous pouvons en percevoir, le bleu des écharpes de prière a laissé sa place au rouge. Le bordeaux des tenues des moines se voit remplacé par du marron ou du bleu-gris. Chaque région s’approprie une pratique religieuse.

La rue est le théâtre de parties endiablées de jeux de cartes, de sortes de dominos, ou encore de jeux d’échecs chinois. Quelques tabourets, une caisse en guise de table, parfois un peu d’argent en jeu, les joueurs, principalement des hommes, sont souvent entourés de spectateurs qui y vont de leurs conseils avisés.

De la province de Gansu, nous passons dans le Shaanxi. Direction Xi’an, le berceau de la Chine. Cette ville a été la capitale pendant de nombreuses dynasties et a gardé des vestiges très anciens. Le centre de la ville est entouré d’un mur de fortification. Plusieurs pagodes (sortes de tours de prière), des temples, des musées et à quelques kilomètres… l’armée de terre-cuite. Ici, on ne nous remarque plus, les touristes locaux et étrangers sont nombreux. Nous recroisons d’ailleurs par hasard des voyageurs rencontrés en Mongolie. Ici, comme dans tous les endroits touristiques, il faut sortir quelques bons billets rouges pour avoir accès à quoi que ce soit, y compris les temples. Mathieu comptabilise : la Chine va sacrément rogner le budget. Nous décidons tout de même de nous rendre sur le site archéologique mondialement connue de l’armée de terre cuite. Depuis plus de 2000 ans, ces milliers de soldats sont restés sous terre pour garder le sommeil de l’un des premiers empereurs chinois, Qin Shin Huang, qui espérait, comme le pensent les archéologues, continuer à régner sur son armée dans l’au-delà. C’est en 1974 que les fouilles ont commencées suite à la trouvaille d’un paysan. Voyant l’ampleur de la découverte, ils ont construit les bâtiments, et fouillés ensuite, à l’abri. Aujourd’hui, le site n’a plus rien à voir avec la campagne que cela devait être dans les années 70. McDonald’s côtoie Subway, Haggendaas, Burger King, Pizza Hut et des dizaines d’autres enseignes internationales et boutiques de souvenirs. Lorsqu’on arrive à faire abstraction de « l’emballage », cette armée de plusieurs milliers de soldats et de chevaux en rangs de bataille fascine. Surtout lorsque l’on comprend qu’il n’y a pas deux soldats identiques, et qu’ils se différencient non seulement par les visages mais aussi par les corps et vêtements. Tous les soldats n’ont pas encore été déterrés et reconstitués. Nous observons l’espace de travail des archéologues qui recomposent le puzzle des corps.

Retour à Xi’an où nous passons la soirée dans le quartier le plus animé, le quartier musulman. Les musulmans sont ici des Hui. Ce sont originellement les commerçants venus d’Orient avec la route de la soie. Plus généralement maintenant, cette catégorie désigne tous les chinois musulmans. A Xi’an, ce sont eux qui possèdent la plupart des restaurants. Ces quelques rues qui entourent la grande Mosquée se noircissent de monde à la nuit tombée. Stands de brochettes en tout genre, de chips, de crabes panés, d’œufs ou de viande (tant qu’il y a de la chair sur la carcasse, on continue à faire des brochettes !), de spécialités de nouilles, de fruits secs, de poêlées de soja ou de gelé (au plus grand regret de Mathieu, non, ce ne sont pas des pommes de terre sautées !), de fruits… Nous en prenons plein les yeux et les narines !

La ville. Ses mille et unes tentations, manger, dépenser de l’argent, visiter, tenir le rythme, tous ces gens, ce bruit. La ville me pompe toute mon énergie. J’ai un besoin crucial de nature.

Equipés de notre tente, nous décidons d’aller prendre l’air 2 jours dans les environs de Xi’an dans une montagne appelée Hua, une des cinq montagnes sacrées dans le taoïsme. Au pied de la montagne, un temple taoïste qui respire la quiétude entre lieux de prières, fontaines, et végétation abondante avec la montagne et la brume en arrière-plan. L’air est lourd et chargé d’humidité. Nous nous allégeons de quelques billets (oui, en Chine, on paye pour marcher en montagne) et commençons notre ascension. De beaux pins tortillés, les racines dans les roches, le chant des oiseaux, quelques jolis petits temples fleuris (et pour la plupart payants) le long du chemin. Ma barre d’énergie remonte ! Une rivière en contrebas dans laquelle je me jetterais bien tant nous sommes collants. Mais il est interdit de s’écarter du parcours : un chemin et des escaliers, en pierre et en béton, soigneusement balisés et éclairés. Des petites boutiques tous les 500m. La beauté du lieu est dénaturée par tous les aménagements artificiels. Mathieu se fait quelques bonnes frayeurs dans des escaliers très escarpés au-dessus du vide. Nous arrivons au pic nord à la tombée de la nuit, à 1615m. Un haut-parleur crache son message en continu. Nulle part où planter notre tente, il n’y a que du béton. Nous entrons dans l’auberge du pic nord. Pour un prix exorbitant, nous avons un lit dans un dortoir très humide de 16 personnes (heureusement pas rempli !). Pas de douche. Nous entrons dans le café vide pour acheter des soupes instantanées. Nous devons réveiller le serveur qui ronfle profondément dans un canapé. Nous reprenons quelques forces et mettons le réveil à 4h du matin. Objectif : rejoindre le pic Est, à 2100m, pour le lever du soleil et profiter d’un aspect de la nature que les chinois ne pourront pas nous enlever ! Naïfs que nous sommes… Pour rejoindre le pic Est, nous dépassons de nombreux jeunes chinois en couple ou en groupes (pour la sérénité du petit matin, on repassera !). Le spectacle qui nous attend au pic Est est désolant : de la musique, des jeunes qui s’entassent, se prennent en photo et hurlent. Les chinois ont apparemment l’habitude de faire l’ascension de nuit pour arriver au petit matin. Une sorte de défi qu’ils relèvent en petites tennis, en jean’s, en robes. Ils arrivent au sommet transis de froid car trempés et pas du tout équipés. Mais ce n’est pas un problème. Une cahute est là pour eux et leur loue des gros manteaux militaires ainsi que des snacks et des tentes pour faire patienter ceux arrivés un peu trop tôt. Immense déception. Nous qui espérions apprécier un lever de soleil dans le calme de la montagne. Pour couronner le tout, le ciel est nuageux. Nous avons quand-même le plaisir de contempler le tapis moelleux de nuages ne laissant dépasser que les sommets alentours. Nous repartons en regardant le triste spectacle des déchets laissés par terre. Mathieu ne se sent pas de redescendre, de jour, par les mêmes escaliers au-dessus du vide. Nous nous dirigeons vers le versant ouest pour prendre une télécabine. Un autre billet. De la station d’arrivée, aucune autre option que de prendre un bus. Un nouveau billet. Retour à Xi’an, épuisés.

Que cela semble difficile de s’extirper des villes… et de profiter simplement de la nature !

Nous voilà maintenant dans le train pour Chengdu, dans la province du Sichuan. De là, nous avons rendez-vous pour faire du volontariat dans une ferme bio. J’ai hâte de découvrir l’arrière-pays, sa nature et ses habitants.

Pour le moment, notre train accuse un retard de 5h…