Un peu plus de deux mois maintenant que nous voyageons. Moi à Mathieu dans la voiture qui nous emmène à la gare de Turpan : « - Tu sais quel jour on est ? - Dimanche je crois… ». A n’avoir aucune routine, le temps passe finalement très vite. Nous tâtonnons encore pour trouver le rythme de voyage qui nous convient le mieux. Nous cherchons l’équilibre entre l’envie de découvrir plein de choses, et l’envie de nous poser, entre le besoin de planifier (notamment les transports, les visas ou les demandes de couchsurfing) et l’envie de se laisser porter, entre l’envie d’être autonomes et l’envie de rencontrer des locaux.

Je serais bien restée quelques jours de plus à Turpan. Cette petite ville oasis m’a séduite. Ces Ouïghours avec leurs sourires avenants, leur simplicité sur la piste de danse, les jolies robes et tissus colorés des dames. Turpan se trouve dans une dépression (c’est-à-dire dans une cuvette en dessous du niveau de la mer) en plein milieu du désert. Cette région est surnommée la vallée de la mort. La température tourne autour de 40°C en ce moment. Et ce n’est pas le plus chaud ! A tel point que les locaux installent leurs lits devant chez eux à l’ombre des vignes ou sur les toits pour chercher un peu de fraicheur. Malgré tout cette ville est très verte. Grâce à un système d’irrigation par des canaux souterrains, elle est devenue la ville du raisin qui se mange frais ou sec. Ils produisent tout de même un peu de vin, mais vraiment, Mathieu n’a pas aimé du tout. Tout autour de la ville s’étend la vallée du raisin et la plupart des rues passent sous des arches où grimpent des vignes pour le style et surtout pour la fraicheur que ça apporte. En ballade dans cette vallée, nous rencontrons un Ouïghour avec ses chèvres. Les vignes ici n’ont rien à voir avec le vignoble en France. Elles poussent sur des grandes arches d’environ 1,50m de hauteur de telle façon que les chèvres ne puissent pas atteindre les fruits. Il nous offre quelques grappes. Je ressens un accueil de la part des Ouïghours vraiment très chaleureux. Un peu plus tard, un homme nous offre, avec le sourire et avec le cœur comme il nous le fait comprendre, un de ses melons à vendre qui remplissent sa camionnette (de gros melons verts-jaunes produits pas très loin dans la ville de Hami).

En rentrant le soir, nous sympathisons à l’auberge avec une jeune chinoise et son père. A 19 ans, elle parle un anglais impeccable. Ses parents étant divorcés, elle voyage seule avec son père, le seul moment où elle peut le voir dans l’année. Nous convenons d’organiser nos visites le lendemain avec eux. Cela la ravit d’autant plus qu’elle semble honorée d’être avec nous. Elle n’arrête pas de me dire qu’elle me trouve belle et ne cesse de me prendre en photo et en vidéo (ce qui ne met pas 2 secondes avant d’arriver sur les réseaux sociaux !). Et vous savez quoi ? Ce qu’elle adore chez moi ce sont mes yeux et mon nez (Oui, oui, mon nez ! les grands nez semblent avoir de l’avenir en Asie !). C’est fou comme on semble aimer ce qu’on n’a pas.

Nous partons donc le lendemain pour aller explorer les environs de la « montagne de feu ». C’est une montagne connue de tous les chinois grâce à un film fantastique où un singe éteint le feu avec son éventail. Un peu plus loin, un village ouïghour construit totalement en boue. C’est beau et impressionnant. En interrogeant la responsable de l’auberge qui nous conduit, nous réalisons que ce village a été construit de toute pièce il y a une dizaine d’année pour les touristes. Sentiment d’avoir été trompés sur la marchandise. Vigilance. Et là tout s’éclaire pour moi et je comprends mieux la portée de ce que nous racontait le brésilien chez qui nous avons déjeuné quelques jours plus tôt. Il nous expliquait à quel point, pour les chinois, l’importance des apparences était ancrée dans leur culture. Ne jamais perdre la face quoi qu’il arrive. Une question d’honneur. Au restaurant par exemple, et surtout vis-à-vis d’un étranger, ils voudront toujours vous inviter (et inutile d’insister pour partager l’addition), même s’ils n’ont pas un sou. L’important pour eux est que tout soit fait pour que l’invité passe un bon moment et qu’ils soient vus comme de bons hôtes. Sauver toujours les apparences. Voilà qui explique peut-être la manie frénétique de l’appareil-photo des touristes chinois, ainsi que le rythme de leurs visites. Peu importe la qualité ou l’intérêt de leur voyage, ils veulent rentrer avec des photos qui montrent toutes les choses qu’ils ont vues et à quel point c’était génial. Ici, ils ne semblent même pas prendre le temps de lire les informations sur les différents sites que nous visitons. Seule la photo compte. Voilà qui explique aussi leur façon de gérer les sites touristiques, qu’ils soient naturels ou historiques (ou historiquement faux). Tout est payant avec un grand dispositif d’accueil des touristes pour qu’ils se sentent tout particulièrement spécial. Les apparences. Voilà qui explique aussi peut-être leur aptitude mondialement reconnue dans la copie et la contrefaçon. Pas besoin que ce soit du vrai. Il faut juste que ça en ait l’air. Mais tout cela me semble terriblement compliquer les relations humaines. De leur côté, ils ne recherchent pas le contact avec les étrangers. Une photo semble suffire. Une relation approfondie expose vraisemblablement au risque d’une incompréhension et d’un sentiment d’embarras. Le premier (et seul) réflexe de la jeune fille qui nous accompagne avec son père est de photographier les chèvres dans la petite maison ouïghoure parce que, c’est vrai, c’est mignon. Moi je commence par échanger sourires et signes de tête avec les deux femmes assises dans l’entrée (et je ne photographierai pas les chèvres). Ça change beaucoup de choses. Du côté des étrangers, créer une relation avec eux semble aussi compliquée. Comment savoir si un chinois nous parle avec sincérité ou sourit pour que tout se passe bien en apparences ? S’il nous offre un cadeau avec son cœur ou s’il veut simplement avoir l’air d’être accueillant et généreux ? Voilà une notion intéressante que je ne soupçonnais pas et que je vais pouvoir explorer dans les prochaines semaines.

Pause bien méritée après les étouffantes montagnes rouges. La jeune chinoise propose de cuisiner pour nous et son père un plat typique de sa région. Ça lui fait plaisir dit-elle... Je la regarde préparer notamment un légume inconnu, la racine de fleur de lotus. J’adore les découvertes culinaires et je sens qu’en Chine, je ne vais pas être déçue ! Un des plats est très relevé (Elle s’est d’ailleurs brûlée les mains en coupant le piment !) et nous nous amusons de voir le père, qui pourtant adore, transpirer à grosses gouttes en mangeant (nous passons notre tour sur le bœuf au piment). Nous nous rendons en fin d’après-midi dans un lieu magique inscrit au patrimoine de l’Unesco : les ruines perchées de Jiaohe, à quelques kilomètres de Turpan. Les ruines d’une ville immense construite uniquement en boue il y a 1600 ans et incroyablement bien conservée grâce à la sécheresse. Difficile d’imaginer la vie ici vue la chaleur ! Les ouïghours habitent pourtant encore tout autour. On peut suivre le tracé des rivières à la sortie des canaux souterrains grâce à leurs coulées vertes. Une pastèque bien fraîche, une glace au yaourt (les ouïghours partagent avec les mongols la cuisine au mouton et les spécialités laitières) et direction l’auberge pour prendre une bonne douche avant le départ en train. La gare de Turpan est située à 50km de la ville. A l’époque où ils l’ont construite, la ville étant dans une cuvette, ils ont eu peur que les trains ne puissent pas repartir. Du coup, pour arriver jusqu’au quai : deux barrages routiers, deux contrôles minutieux des passeports et scan des bagages et même une fouille manuelle des sacs en plus (Turpan est une ville majoritairement ouïghoure !). Mieux vaut prendre de l’avance pour ne pas manquer son train ! Vraiment, je ne pourrai pas m’y faire. Ils disent que tout ça est pour préserver la paix… En attendant le train, nous sommes l’attraction. On veut voir des « billets français ». On se prend en photo avec nous bien sûr. Le moindre geste est observé… ça promet !

Enfin nous voilà dans un train couchette chinois. Plus moderne que les trains russes avec le wifi (uniquement à travers une application chinoise bien sûr) et avec des couchettes sur trois étages. La convivialité y est bien moindre qu’en Russie. Peu de discussions entre les passagers et avec nous.  Nous faisons un arrêt rapide à Wuwei dans la province du Ganzu. Notre souhait initial était d’aller bien plus loin, à Xi’an, pour nous y installer quelques jours. Mais nous nous y sommes pris trop tard et n’avons pu avoir de billets de train direct. Qu’à cela ne tienne. Faisons halte à Wuwei.

Les Primat en Chine, à suivre…