Nous avons fait un bon périple depuis Litang avec plusieurs étapes. D’abord Daocheng. Nous ne pensions pas arriver si vite dans cette ville. Après un jeune chinois adorable du type « big brother » qui nous a déposé à 40km de Litang, nous avons trouvé le stop le plus rapide du monde : notre conducteur était un pilote de course parfois à 150km/h dans les routes de montagne ! L’étape suivante se fait en bus car nous comprenons que les voitures ne passent pas par Daocheng pour aller à Shangri-la. Cette dernière est répertoriée dans tous les guides pour son centre historique et la nature environnante. En réalité, nous y trouvons en effet un centre historique tout mignon avec de très jolies maisons en bois, mais surtout des boutiques et des touristes chinois à n’en plus finir. Aucun signe de la communauté tibétaine censée habiter là. Nous montons la colline dans le temple des 100 poulets. Peu de visiteurs ici, surtout des poulets de toutes les races. Mais cela ne va pas durer : travaux de construction, lampadaires solaires pour éclairer le futur chemin balisé. Nous esquivons les sites naturels aux alentours très réputés pour leur beauté. Notre expérience de la montagne Hua Shan nous a vraiment marqués et nous ne voulons pas réitérer une nature en semi-liberté. Malheureusement, nous sommes forcés de rester quelques jours ici, une mauvaise bactérie me clouant au lit.

Nous enchainons les films dans notre chambre d’hôtel. Petit coup de blues. Nous commençons à en avoir marre de la Chine. Des villes et encore des villes. La Chine est un pays immense, et pour sortir des villes, nous n’avons que des options qui prennent beaucoup de temps. Or cela ne colle pas avec notre visa et notre choix de traverser le pays par des moyens terrestres.

Et puis, les villes sont toutes les mêmes. C’est comme-ci ce qui avait de l’intérêt n’était soit pas accessible, soit déjà balisé en semi-liberté à la chinoise. Quel dommage ! Nous demandons notre visa pour le Vietnam. D’ici là, il faut continuer la route. 

Nous arrivons à Dali en stop. Enfin dans la ville nouvelle. Souvent, dans les coins plus reculés, les villes comme Shangri-la ou Dali, sont construites avec une vieille ville (qui possède soi-dit en passant, un autre nom chinois) et une ville nouvelle (avec un 3èmenom différent !) parfois 10 ou 30 fois plus grande que l’originale et parfois même à quelques 10aines de kilomètres. Ce n’est donc qu’1 heure de bus plus tard, que nous nous retrouvons dans la vieille ville, recommandée par le Lonely Planet. Nous sommes à la veille de la Golden week. C’est LA semaine de vacances nationale où on célèbre l’automne. Imaginez la semaine du 15 août en France, mais pour 1,37 milliard de personnes en même temps. C’est simple, notre lit passe de 40 yuan/nuit le jour où nous arrivons, à 90 yuan le lendemain, début de la Golden Week. Après une grosse hésitation, nous restons tout de même une journée à Dali, histoire d’en prendre le pouls. A Dali, il y a la minorité Bai. C’est une ethnie formée il y a très longtemps avec un mélange de peuples birmans, tibétains et hans. Le résultat architectural est très charmant avec des maisons blanchies, des toits gris aux coins qui rebiquent à la chinoise, et des fresques murales bleuies. Ici, il fait plus chaud. Des palmiers, des grenadiers et surtout les rizières ont fait leur apparition. Une spécialité culinaire entre autres : la gelée de haricots, découpée en lamelles et dégustée comme des pâtes. Je m’y colle. Je ne sais pas si je pourrais m’y habituer, mais pour une fois, c’est plutôt bon ! La minorité Bai est malheureusement peu visible dans toute cette populace. Les touristes ici sont principalement de jeunes chinois et chinoises. Des fleurs dans les cheveux, de grands chapeaux de pailles, des robes légères à voilures, ces jeunes messieurs qui portent les sacs de ces demoiselles. Cette nouvelles génération chinoises se veut plus romantique. Ils sont mignons.

Nous ne nous éternisons pas à Dali, surtout pas pendant la Golden Week. Notre vrai objectif et de descendre vers la frontière du Vietnam et nous poser vraiment quelque part à l’écart des villes et des touristes chinois. Nous avons repéré un endroit qui n’est pas répertorié dans les guides. A voir.

En attendant, Kunming, la capitale de la province du Yunnan, et normalement, notre dernière étape avant de nous poser. Notre conducteur nous dépose en périphérie de Kunming. Nous prenons le métro pour rejoindre le centre. A la sortie, de superbes odeurs viennent titiller nos papilles. Nous sommes dans un quartier musulman à l’heure où toutes les marmites fument. Nous nous arrêtons manger pour découvrir que, dans le Yunnan, on mange là-aussi très épicé ! Nous demandons à une serveuse si elle connait une auberge pas chère dans le coin. Elle nous indique la porte juste en face. La petite réceptionniste ne parle pas anglais bien sûr mais ne comprend pas qu’elle peut utiliser notre téléphone pour nous parler. Elle appelle le petit Miscat à la rescousse. C’est un petit birman de 7 ans (la frontière Birmane n’est pas très loin) dont les parents tiennent un stand de galettes fourrées juste en face. Il parle très bien anglais et nous aide à comprendre que cet hôtel n’a pas le droit d’accueillir des visiteurs étrangers. « My daddy can speak english, he can help you ! ». C’est comme ça que nous rencontrons Moussa. 

Moussa est birman et est venu ici avec sa femme et son fils il y a 3 ans. Il a fui la guerre. « Beaucoup de morts là-bas » nous dit-il, « n’y allez pas ! Ici vous êtes en sécurité. Il n’y a pas de crises ici ! » Il sait qu’ici c’est compliqué car personne ne parle anglais. Il se fait un devoir de nous emmener au pas de course à l’auberge de jeunesse dans le quartier d’à côté. Malheureusement, celle-ci a fermé et il est complètement désolé. Nous trouvons un peu plus tard, non sans quelques retournements de situation, une chambre dans ce même quartier par nos propres moyens. Le soir, nous retournons voir Moussa pour le remercier et déguster ses galettes. Je lui demande si le lendemain, il peut m’accorder un petit peu de temps. Je voudrais faire son portrait pour mon site https://nuances-et-merveilles.blog/. Il est d’accord. 

Le lendemain, quand nous arrivons, je sens que quelque chose a changé. Il n’est plus aussi partant pour me raconter son histoire. Je sens que notre présence n’est plus autant souhaitée. Il m’explique qu’il ne veut pas faire partie de mon projet car la police lui interdit de parler à des étrangers ou des médias. Il ne veut pas attirer l’attention sur lui, ni créer des ennuis à sa famille. Désireux de m’aider, il me passe son grand frère au téléphone qui me propose qu’on se donne un rendez-vous secret pour pouvoir « parler ». Je comprends que j’ai pêché un poisson bien plus gros que ce que je ne souhaitais. Mon projet est avant tout artistique et documentaire, certainement pas d’investigation ou politique. Je décline. Nous partons rapidement à regret, j’aurais vraiment aimé connaître un peu plus cette famille. Je reste choquée par la situation. Même si je sais que de tels problèmes existent, c’est la première fois que je me retrouve confrontée à l’impossibilité d’échanger avec d’autres personnes pour des raisons politiques. Oui, il est en sécurité ici par rapport à la Birmanie, mais à quel prix.

Encore un exemple, et pas des moindres, qui fait que j’ai du mal à me sentir parfaitement bien en Chine. Je n’aime pas cette Chine. Non pas les gens, ni les paysages. Mais cette politique autoritaire qui contraint les gens à la peur et qui les empêche de jouir de leur liberté. Cette politique qui a déjà balisé le chemin pour eux, qui les emmènent coloniser d’autres peuples à coups de bétonneuse. Cette politique qui les aveugle avec une pseudo sécurité omniprésente et une semi-liberté illusoire, celle de la consommation. Ça oui, les chinois sont libres de consommer et ils s’en donnent à cœur joie. Kunming, en cette semaine de vacances, prend des allures de Mecque de la consommation. Rollex, Adidas, Apple, McDonald’s, Porsche… savent bien tirer leur épingle du jeu. Pendant que les chinois sont occupés à consommer, ils ne pensent pas à réclamer plus de liberté. C’est du gagnant-gagnant pour les multinationales comme pour les autorités…

Il fait chaud. Nous allons au plus grand parc de Kunming. Des nénuphars immenses sortent leurs têtes de l’eau. Le parc est bondé. Les familles ont sorti les mamies en fauteuils roulant et les ombrelles. Brouhaha étourdissant. Ampli contre ampli. De nombreux chinois se retrouvent autour d’un « chorégraphe » pour danser les musiques traditionnelles. Les chinois adorent danser, c’est vraiment très amusant de les voir entrer dans la ronde et se concentrer pour respecter les pas. Ça me fait penser aux danses bretonnes.

Le soir, nous nous retrouvons dans un restaurant végétarien. Nous découvrons qu’il existe des plats végétariens qui ne sont pas rouges et qui, contrairement aux apparences, arrachent tout autant, voir plus ! Nous découvrons aussi un aliment très curieux : le konjac, ou crevette végétale. C’est rose comme une crevette, ça a la texture d’une noix de Saint-Jacques et ça a la forme d’un gros haricot. C’est en réalité une sorte de bulbe de plante. Très étrange !

Bon, il est temps de partir de Kunming. Après une tentative en stop qui a échoué (peu de gens vont là où nous voulons aller. C’est bon signe !), nous voilà dans un bus qui nous emmène à Shiping, plus au sud. Nous voulons allez voir des rizières en terrasses. Mais pas celles conseillées dans les guides et vers lesquelles tous les touristes se dirigent. D’autres, soi-disant aussi belles, le monde en moins. Espérons que notre choix sera le bon.