Le sud du Yunnan avec ses rizières en terrasses est vraiment exceptionnel. Quand le soleil arrive à percer à travers les nuages. Nous sommes à Pugao, un village dans la région réputée de Yuanyang, un village dans les montagnes où les nuages aiment se réfugier. Brouillard épais. Visibilité : 50m à peine. Il fallait bien que ça arrive. Nous n’avions pas encore essuyé de mauvais temps en Chine.

Notre arrivée à Shiping une semaine plus tôt est un peu déroutante. Shiping est une petite ville chinoise classique, sans aucun attrait particulier. Mais nous décidons d’y rester la nuit à cause de notre arrivée tardive. Nous partons à la recherche d’un hôtel, il y en a plein dans l’avenue principale. Problème : ils ne sont pas autorisés à recevoir des étrangers. Un hôtel, deux hôtels, trois hôtels, six hôtels. Les réceptionnistes nous font de grands signes : NON ! Les établissements semblent pourtant loin d’être complets. C’est insensé. Certains réceptionnistes ne veulent même pas lire nos questions traduites sur notre téléphone. Persona non grata. On nous indique finalement un hôtel habilité à recevoir des étrangers. Prix exorbitant, d’autant plus que nous sommes encore en pleine Golden Week. Après plus de 2 heures de recherche, un autre hôtel habilité nous propose un prix qui double par rapport à d’habitude. Las, nous acceptons. Gros moment de doute. 

Il nous faut un gros effort de motivation pour repartir de bon matin en stop. Yisa, puis BaoHuaXiang. Une voiture taxi nous prend. Nous sillonnons dans des routes dans les montagnes. Les bananeraies recouvrent certains coteaux. Des cultures en terrasses partout. C’est épatant. L’émerveillement aide à faire remonter notre niveau d’énergie. Nous arrivons à Yisa à la gare routière. Petit repas excellent, local et très bon marché en attendant le bus. Mathieu retrouve le sourire. Les villages ici sont dispersés dans la montagne. Et les habitants, pour la plupart des paysans, n’ont pas de voiture. Du coup, les bus circulent partout où il y a des routes. Nous montons en altitude, les terrasses sont maintenant quasiment toutes recouvertes de rizières.

Scène de vie quotidienne d’un chauffeur de bus : une fois sortie de la gare routière, un arrêt « clandestin » quelques mètres plus loin. Des passagers, et surtout des passagères en habits traditionnels, montent. Le prix du billet est pour le chauffeur. Il n’y a plus de place assise. C’est pas grave, on sort les tabourets dans l’allée. En plein milieu d’une route de montagne, le bus s’arrête. Le chauffeur fait une annonce. Il semble qu’il y ait un problème. Les passagers discutent, cherchent une solution. On regarde ma voisine de derrière qui a 2 enfants avec elle. Une femme qui était dans l’allée vient se caler entre Mathieu et la maman et prend un enfant sur ses genoux. Serrés comme des sardines. Des sardines qui gardent un grand sourire. Le bus repart pour faire face quelques minutes plus tard à un contrôle de police. Le surmenage des bus semble interdit. Un policier monte. Personne dans l’allée. Tout est en ordre. Le contrôle passé, tout le monde reprend sa place initiale. Grands éclats de rires. Des rebelles ? En tout cas ici, on se joue des autorités. J’aime bien ce coin.

Nous arrivons à BaoHuaXiang. La première impression n’est pas folle. Un village habité par des bétonneuses. Le bus s’arrête sur la place du village. D’un côté, un supermarché moderne qui crache de la musique et des promotions aux haut-parleurs. De l’autre, un hôtel récent que le chauffeur nous indique. Ici, pas de règlementation. Chinois comme étrangers, tout le monde peut séjourner dans l’hôtel. Bonne nouvelle, nous pouvons nous installer !

Un peu plus tard, à deux pas de l’hôtel, nous sommes attirés par de la musique. Des cymbales, des tambours, des sortes de bombardes. Nous nous approchons timidement avant de nous faire généreusement inviter. Dans la cour, plusieurs tables recouvertes de plats et des petits bancs. On nous fait nous assoir devant tout un tas de mets et on nous apporte un bol de riz. L’alcool a déjà bien coulé à flot. Certains ont le regard vague… Alors que nous tentons de manger, un attroupement se crée autour de nous… 20 à 30 personnes nous encerclent, rient, appareils-photos en mains. Ça les amuse beaucoup de nous voir ici. Eux ont déjà quasiment tous terminé leur repas. Il reste pourtant des quantités incroyables de nourriture sur les tables. C’est que la fête est loin d’être terminée. On nous parle, mais bien sûr, nous ne nous ne comprenons pas. C’est très cocasse comme situation. Nous nous sentons mal à l’aise d’être observés (filmés et pris en photo) de toute part en train de manger. Soudain, une jeune femme, Fu Ying, s’approche de nous avec son téléphone. Un visage souriant avec qui nous allons pouvoir glaner quelques éléments de compréhension sur la situation. Et pas des moindres. Elle nous explique qu’il s’agit d’un événement privé et que nous sommes les bienvenus. En réalité, tous ces gens sont réunis pour l’enterrement de sa grand-mère. Whaou, c’est sûr, nous ne nous attendions pas à cela ! Nous voilà aux funérailles d’une grand-mère dans une famille Hanie, l’ethnie locale. Toutes les femmes sont parées de leurs beaux costumes colorés. On nous fait entrer dans la maison où tout le monde s’apprête à faire la fête toute la nuit. C’est pour aider la grand-mère à passer dans l’au-delà. Elle est là la grand-mère. Dans son cercueil orné de décorations en papier rose et jaune. On nous fait nous agenouiller devant le cercueil pour honorer la défunte. Notre malaise de nous retrouver dans un tel événement privé se dissipe lorsqu’on nous assure que notre présence est un honneur pour la famille. C’est demain qu’elle sera enterrée dans la montagne. D’ici là, c’est fête, musique, danse, alcool et tabac à gogo. Les hommes fument le tabac à l’aide d’espèces de grandes pipes à eau en métal ou en bambou. Régulièrement, des plateaux passent avec des bonbons, des fruits, des cacahuètes (c’est local !)… et des cigarettes. On avait oublié comment c’était lorsque la France était fumeuse ! Plutôt que de musique, c’est en réalité un rythme, soutenu par un tambour et une cymbale. Parfois, quelques notes de bombarde viennent agrémenter l’effet. La cymbale arrive dans les mains de Mathieu pour soulager le précédent « musicien ». Je me joins à la piste où 4 à 6 personnes dansent en rond. Nous restons jusqu’à la fin de soirée (quant à eux, c’est une nuit blanche qui les attend) et sommes conviés à revenir le lendemain matin pour un repas à 10h.

Après une nuit tout aussi agitée pour nous (ce sont quasi nos voisins et ils s’en sont donnés à cœur joie avec la musique et les pétards toute la nuit), nous les retrouvons comme prévu. Tout est plus calme, les visages sont un peu fatigués. Nous sommes invités à la table des hommes. Très vite, la conversation tourne autour de la monnaie et des billets « français ». L’oncle veut acheter notre avant-dernier billet de 20 euros en souvenir. Mathieu résiste… puis finalement cède. Soudain tout le monde s’agite. L’heure où la grand-mère va rejoindre sa dernière demeure dans la montagne approche. Nous nous mettons à l’écart. Nous observons le cortège passer devant nous. On claque des pétards. Les poules et les chiens s’éloignent. Les musiciens d’abord, des hommes. Puis des jeunes qui tiennent haut des sortes de grandes rosaces en papier colorées et fleuries. Puis les femmes en grandes pleurs, certaines tenant le portrait de la défunte. Suit le cercueil, porté par quelques hommes et le reste de la famille. C’est donc là que la tristesse s’exprime.

Malgré l’invitation, nous préférons les laisser en famille pour le restant de leurs funérailles toute la journée et encore le lendemain. Je tente par la suite de rendre visite à Fu Ying pour la remercier de son accueil généreux. Elle n’est plus là. Curieuse expérience entre rires et larmes.

Besoin d’air, nous partons en promenade dans les rizières. L’endroit s’appelle Samaba. C’est après la zone de travaux que le plaisir des yeux commence. Il y a fort à parier que l’année prochaine, le site sera payant et complètement balisé. D’où les constructions anarchiques d’hôtels dans le village. Tout le monde espère profiter de l’arrivée des touristes. Nous découvrons un chemin magnifique qui multiplie les points de vue incroyables sur les formes et les dégradés de couleurs qu’offrent les terrasses. Quasiment toutes les rizières ont été moissonnées, et des ballots de paille sont parfois alignés sur les bordures. Les buffles d’Asie pataugent dans les rizières avec à leurs côtés des oiseaux blancs qui profitent du remuage de boue. Mathieu s’immobilise. Il vient d’apercevoir un grand serpent sur le rebord d’une terrasse. Spectacle de mise à mort et de dégustation d’un rongeur… Nous rentrons à l’hôtel ravis, avec quelques coups de soleil et des mollets en béton.

On frappe à notre porte. Le chauffeur de bus nous convie à dîner. Nous voilà en voiture avec le patron de l’hôtel (nous sommes ses seuls clients) et le chauffeur de bus. Nous allons de l’autre côté du village chez un de leurs amis. Nous sommes invités à nous assoir autour de la table qui se remplie peu à peu de différents mets. L’hôte est fier de nous montrer des crapauds (encore vivants) qu’il s’apprête à cuisiner. Je commence à préparer ma phrase magique sur mon téléphone : « Je ne mange pas de viande ». Dans une bassine, il les vides en 5 minutes et hop, dans la casserole ! Du poisson, du cochon grillé, du tofu, des lamelles de gras (de cochon) rejoignent les amphibiens. Haaaa ! Des pousses de bambou… Immangeables tellement ça pique. Heureusement, il y a quelques plats de verdure et du riz. Les femmes mangent très rapidement puis se retrouvent à s’occuper des enfants et au service de ces messieurs et nous, invités. La condition de la femme… On sort l’alcool de riz. 52° nous dit-on. En Chine, on ne peut pas boire comme ça. Seul un toast permet de se « désaltérer ». La série de toasts commence… Un verre, deux verres… Le gérant du supermarché nous rejoint. Un bon gaillard qui aime faire des cul-sec… Il finira par vomir dans les toilettes. Mathieu mange en continu. Finalement le cochon grillé passe bien. Je trinque avec du thé, je suis une femme, on me pardonne. On regorge d’idée pour trinquer encore, on chante, on se bat en duel au pierre-ciseau chinois… Les autres demandent à Mathieu de freiner : des petites gorgées seulement à chaque toast, pas plus, sinon ça va trop vite. Ils parlent en connaissance de cause ! La soirée se termine à 20h30 (on commence tôt en Chine !), Mathieu bien amoché. Le lendemain sera bizarrement très calme…

Pendant que Mathieu se repose (se remet !), je pars explorer un village dans les rizières. Pas de route pour y accéder, seulement des chemins. Au fur et à mesure que je traverse le village habité uniquement par des hanis, une tribu de gamins de plus en plus grande me suit. L’accueil des enfants est toujours très marrant et mignon. Ils sont très curieux. « Mushi Mushi ! (le salut japonais) » me dit l’un d’entre eux. Le village est complètement rythmé et organisé selon les besoins du quotidien. Des enclos à cochons à chaque maison, des poules et leurs poussins, des canards. Ces derniers sont amenés le matin dans les rizières et rentrés le soir. En pataugeant dans la boue, ils aèrent la terre ce qui contribue à de meilleures récoltes. Astucieux et sans pesticide ! Des paysans remontent sur leur dos des énormes balles de paille. Travail pénible. Les visages sont marqués, les dos courbés. La quiétude du lieu et un rythme lent en accord avec la nature ne suffisent pas à réjouir les mines. Ils semblent ainsi véritablement subir le poids de leur vie, de leur travail en tout cas. Le marché est au moins un moment social apprécié.

Le jour suivant, c’est le marché local qui commence justement au pied de notre hôtel. Les femmes, avec leurs paniers sac-à-dos parlent fort, rient entre elles. Des fruits, des légumes, de l’artisanat local, des bijoux. Une femme vend du poisson (des rizières), des anguilles et des escargots ! Moi qui pensais que seuls les frenchies cuisinaient des escargots. Stands de tofu grillés (j’aime pas, je trouve que ça sent l’andouillette !). Nous dégustons des pains vapeur à la cacahuète et trouvons du beurre de cacahuète local et fait maison ! Trop bien ! Voilà qui met un peu d’animation à ce village endormi pendant les vacances.

Maintenant que la Golden week est terminée, les touristes chinois sont rentrés chez eux, nous pouvons nous rapprocher de la frontière vietnamienne et visiter la région de Yuanyang, très réputée. Et puis nous avons besoin de nous reposer. Bizarrement dans ce village de BaoHuaXiang, nous n’avons pas bien dormi. Toutes les nuits vers 3-4h du matin, nous étions réveillés par les cris du cochon du jour qu’on allait retrouver en morceau sur la place dès le matin. Puis les coups de klaxons incessants en bas de notre fenêtre, la musique du supermarché en continu, ainsi que l’installation le jour de marché, et enfin les annonces militaires aux haut-parleurs dès 6h30 pour appeler les enfants à l’école. Sans parler des festivités des funérailles. La Chine n’a certainement pas de règlementation en matière de décibels !

Alors c’est parti. Un bus, deux bus et voilà le petit village de Pugao. Nous trouvons une auberge éloignée de la route pour garantir notre tranquillité. Et le choix paye, nous réussissons à dormir comme des bébés ! Ballade dans les rizières et le petit village. Nous croisons les buffles et les canards qui rentrent des terrasses en fin de journée. Nous ressentons une certaine douceur de vivre ici, dans ce coin classé au patrimoine mondial de l’Unesco pour ses rizières en terrasses.

Visite d’un village environnant, Azheke. Il a la particularité d’avoir conservé ses habitations typiques qu’on appelle « maisons-champignons » pour leurs structures hautes et leurs toits de chaume. Grâce à une jeune chinoise en école d’urbanisme qui étudie l’agencement du village (et qui parle anglais !), nous visitons l’intérieur d’une de ces maisons. Une petite entrée sombre. Des photos accrochées au mur, des brosses à dents dans un pot. De part et d’autre, deux mini chambres avec deux petits lits simples de 4-6m². Après l’entrée, nous arrivons dans une grande pièce à vivre en bois très sombre également, avec un poêle, des maïs qui sèchent au plafond. Et c’est tout, pas de salle d’eau, ni de toilettes. L’eau arrive de plus haut dans la montagne pour être distribuée ensuite dans les rizières par un système de canaux. Dans chaque ruelle du village, il y a plusieurs arrivées. Nous voyons les femmes y laver leurs légumes. Le long de toutes les ruelles, les eaux usées s’écoulent en continue dans une sorte de caniveau. Un gamin y fait ses besoins. Difficile d’imaginer vivre sans le confort et l’intimité d’une salle d’eau…

Aujourd’hui, pluie. Tandis que le mauvais temps cloue Mathieu à l’intérieur, je me décide à aller au marché dans un autre village à 5 km de là. J’aime trop les marchés. En plus de la bonne nourriture locale et très bon marché, c’est toujours l’occasion de faire de belles découvertes. Ici, les femmes Hanies portent des costumes beaucoup plus sombres que celles de BaoHuaXiang. Les couleurs sont tout de même présentes dans des bandes de broderie qui entourent les jambes, sur leurs pantalons noirs. Un marchand de bijoux m’interpelle. « Française » me dit-il en chinois (c’est à peu près le seul mot que nous connaissons !). Et lui de me montrer des grosses pièces en argent. « République Française ». Ce sont de gros écus du début du 20ème siècle qui datent de l’époque coloniale au Vietnam. Les femmes en font des boutonnières sur leurs vestes !

Bon, cette fois, nous disons aurevoir à la Chine. Nous allons retrouver la communauté Hanie de l’autre côté de la frontière, au Vietnam. Nous avons au moins terminé notre périple loin de la pollution des villes et dans le calme des rizières. Dans la brume et l’humidité des montagnes aussi. Notre linge étendu depuis deux jours n’est toujours pas sec… et nous devons refermer notre sac...