24/09/2017 – Dans une auberge de Litang, dans l’une des villes les plus hautes du monde, à 4000m d’altitude – par Priscilla


Depuis mon lit chauffé (ici, il n’y a pas de chauffage dans les maisons hormis un poêle à bois, alors les lits dans l’auberge sont équipés d’une couverture chauffante !), je savoure le confort d’un bon matelas et des draps propres. Après notre dernière expédition dans la montagne, ça fait un bien fou. Aujourd’hui, nous ne faisons rien !

J’ai l’impression que notre séjour auprès de Winnie et Lioga est déjà bien loin. Il s’en est passé des choses depuis !

Après notre dernière soirée festive à la ferme, nous avons droit à un dernier déjeuner où Winnie s’applique à cuisiner les écrevisses pêchées la veille et les plats préférés de « Mathiou ». Elle nous raccompagne à la gare avec l’acrobate. Snif.

Pour nous maintenant, direction Chengdu. Nous retrouvons l’agitation d’une immense ville chinoise. Cette région est célèbre pour ses pandas et ses nombreuses réserves. Nous nous rendons le lendemain matin au centre de recherche du panda géant. Un grand parc où les pandas sont gardés dans un environnement relativement naturel et où les soigneurs ont mis en place un véritable stratagème pour réussir à faire se reproduire ces gros mammifères. C’est qu’ils sont un peu fainéants ces pandas. Des végétariens aux organes de carnivores. Ils ne parviennent à digérer que 15 à 30% de tous les bambous qu’ils ingèrent. Du coup ils passent la journée à manger pour intégrer suffisamment de nutriments, et puis à dormir. Alors la reproduction… Nous observons ces gros nounours grimper en haut des arbres avec une agilité et un sens de l’équilibre surprenants. La pouponnière aussi, avec ses petits de quelques mois qui ne tiennent même pas encore sur leurs pattes (vous avez peut-être déjà vu cet endroit à la TV lorsqu’il y a de nouvelles naissances !). Mon observation des pandas se trouve cependant quelques peu gâchée par les trop nombreux chinois et autres groupes qui hèlent les pandas, tranquillement en train de faire leur sieste, pour avoir une meilleure photo. Je dois éviter des coups d’appareil photo devant la vitre de la pouponnière. Je comprends soudain ce que je déteste dans le « tourisme ». On achète une destination à consommer en l’instant pour s’épargner le voyage. Mais la destination ne me semble appréciable que lorsqu’elle est un aboutissement. C’est le voyage qui nourrit. Du coup, ce centre de pandas me parait un peu fade. J’y ai vu ce pour quoi j’ai payé. Aucune surprise. J’aurais finalement préféré partir à leur recherche dans une forêt de bambous… quitte à ne pas les trouver. Il ne reste que très peu d’individus en liberté.

Nous continuons ensuite notre voyage en direction du Tibet. Nous n’irons pas dans la province autonome du Tibet avec Lhassa pour capitale. Les démarches pour obtenir un permis sont très compliquées pour les étrangers et les restrictions une fois à l’intérieur (par exemple, interdit de se déplacer seuls sans guide) sont assez rebutantes. Il semblerait que les autorités chinoises verrouillent le Tibet encore davantage que le Xinjiang où nous nous trouvions à notre arrivée en Chine. Le Tibet réclame son indépendance et les chinois coupent cette vaste province du reste du monde. Ils continuent tranquillement leur opération de colonisation au Tibet comme dans toutes les régions encore relativement épargnées car difficile d’accès. C’est le cas dans la région tibétaine où nous allons, dans l’ouest de la province du Sichuan. Nous constatons partout des travaux de construction (axes de communication et bâtiments par quartiers entiers).

La route qui nous mène à Kangding, notre première étape, est tout simplement dingue avec des paysages incroyables. 8 heures de bus (qui se transformeront en 12 à cause d’un accident) sur une petite route à double sens où un bus et un camion ont parfois du mal à se croiser, le tout en lacet dans les montagnes. Nous traversons d’abord des forêts luxuriantes de bambous. Un peu plus haut, bambous, fougères, feuillus et conifères se mélangent dans un joyeux bordel. Des marchands sur le bord de la route vendent la production locale de kiwis. On monte encore. Le bus enchaine les virages à flanc de montagne et double sans aucune visibilité la main sur le klaxon. Ça bouchonne. Au-dessus de la forêt, hauts pâturages pour les yaks, montagnes rocheuses. Nous arrivons à Kangding tard le soir, épuisés.

Kangding est une petite ville construite de part et d’autre d’un torrent. Même si de nombreux chinois (j’entends par-là les Hans, majoritaires en Chine) ont déjà émigré ici, la ville conserve une certaine influence tibétaine. Ici, tout est inscrit en tibétain. Les montagnes autour sont couvertes de drapeaux de prières. Les visages se brunissent. Je découvre avec un grand plaisir toutes ses femmes en costumes traditionnels. Leurs cheveux sont nattés avec de la laine rouge ou fuchsia, le tout en couronne autour de la tête. On sent l’air frais des montagnes à 2700m d’altitude. Nausées, maux de tête, insomnies. Je souffre un peu du mal des montagnes. Nous allons rester deux jours ici pour nous acclimater avant de monter plus haut.

Nous partons le lendemain visiter le temple Bouddhiste Nanwu Si, un peu plus haut dans la montagne. Pour y arriver, il faut longer le torrent puis prendre un escalier en bois. De loin, nous apercevons ses toits dorés. La vue sur les montagnes depuis les terrasses du temple est superbe. Une none tourne autour du grand Stupa (équivalent d’une grande croix ou d’une statue de la vierge Marie pour les catholiques) en priant. Un chapelet dans la main gauche, un moulin à prière dans la main droite, elle répète des mantras, sortes de petites prières. A chaque tour, elle avance une perle d’un boulier accroché à l’arbre. Echanges de sourires. A son invitation, je tourne avec elle. Ça la fait beaucoup rire. De manière générale, les bouddhistes dans les temples témoignent d’un grand accueil envers les étrangers. Une fourmi volante sur le chemin. Elle se baisse et la ramasse pour la déposer sur l’arbre. Les bouddhistes croient en la réincarnation. Tout est fait pour éviter la mort d’un animal, fusse une fourmi. Mathieu nous regarde passer. Nous éclatons de rire avec la mamie-none. Un lama passe. Elle enlève son chapeau orange et se baisse en signe de respect. Le bouddhisme n’est pas vraiment exemplaire en matière d’égalité homme-femme. Peut-être, ce qui m’apparaît comme une heure plus tard, Mathieu étant reparti, mamie-none compte les perles. Elle a terminé ses tours. Séance photos. Nous nous séparons avec de grands sourires. J’aime le Tibet !

Le lendemain, nous partons découvrir la nature environnante avec l’ascension de la montagne Jiulian Shan. Nous avons du mal à trouver le chemin, et pour cause, il n’est pas vraiment balisé. Seules quelques pancartes en anglais posées par la famille américaine qui gère l’auberge un peu plus bas. Cette montagne n’intéresse pas les chinois. Et c’est tant mieux. Non seulement c’est gratuit, mais il n’y a personne et nous pouvons profiter de la nature et des hauts pâturages au sommet tranquilles ! Je me régale de toute la diversité de fleurs qui recouvrent le sol. Nous y trouvons en haut un berger chinois avec ses chevaux et ses yaks. A la faveur d’une éclaircie, les sommets tout autour se dégagent de leur brume et nous laisse apercevoir les neiges éternelles. Nous sommes aux pieds de l’Himalaya et du plateau tibétain.

Mes maux de tête s’atténuent. Il est temps de partir pour Litang, à une journée de bus. Nous passons des cols à plus de 4000m. Des forêts de sapins alternent avec des hauts-plateaux. Les routes zigzaguent. Le chauffeur de bus (en réalité, tous les conducteurs chinois) trace, la main sur le klaxon. Sur la route, beaucoup de cyclistes chinois partis à l’ascension des cols. Les nombreux bus et camions les frôlent dangereusement. Cela ne doit pas être agréable.

Arrivée à Litang. Cette ville est l’une des plus hautes du monde. 3 900m / 4 000m selon les sources. Même Lhassa est à une altitude inférieure. Litang est une petite ville majoritairement tibétaine de 50 000 habitants, dernière sur cette route avant la province du Tibet. A mon plus grand plaisir, Litang est une ville marchande, et de nombreux tibétains de toute la région viennent ici pour faire du commerce. Festival de costumes et de coiffures. Le style des hommes rappelle celui des nomades mongols avec leur chapeaux de cowboy et leurs vestes fourrés. Eux aussi d’ailleurs chevauchent les motos, des petites Honda bariolées. Ils gardent souvent les cheveux longs, attachés ou avec une grosse coiffure en laine rouge enroulée autour de la tête. Les tibétains, surtout les jeunes, sont très stylés avec des looks et des coiffures improbables. Chez les femmes, une grande diversité de coiffures. Certaines ont les cheveux tressés de plein de petites nattes avec de la laine, d’autres portent des chapeaux colorés hauts. Elles portent des robes avec des tissus plutôt sombre et toujours un tablier avec des rayures colorées. Balade dans les petites rues du vieux Litang aux alentours du grand temple. Les murs des maisons sont parfois couverts de bouses de vaches. Quand elles sont sèches, elles tombent et servent ensuite de combustible pour le poêle. Les tibétains sont très accueillants et souriants. Nous échangeons jovialement des « tashi-délék ! », le bonjour tibétain. Introduction qui permet l’observation mutuelle ouverte de nos différences, avec le sourire.

Le soir, la grande place s’anime de musique. La tradition chinoise de danser sur la place le soir a conquis certains tibétains. A chaque nouvelle chanson, une personne de la ronde, homme ou femme, lance une chorégraphie simple que tout le monde suit. C’est très bon enfant.

Nous voulons sortir des sentiers battus et partir en trek quelques jours dans la montagne. Nous restons quelques jours encore à Litang le temps de se préparer et de nous acclimater de nouveau. Nous sommes passés très rapidement de 2700m à 4000m. Les maux de tête me reprennent un petit peu et ont gagné Mathieu. A l’auberge, nous faisons des pieds et des mains pour obtenir une carte topographique des environs. Impossible. Censure des autorités. Deux chinois nous téléchargent tout de même tant bien que mal une application pour avoir la vision satellite. C’est pas l’idéal, mais ça fera l’affaire, même si ça nous oblige à être dépendant de notre téléphone. « Comment vous faîtes quand vous voulez aller faire un trek dans la nature ? » « On suit la description d’un itinéraire tout prêt. » Evidemment. Avec nos questions et nos envies de parcourir la montagne à l’aventure, nous faisons figure de véritables pionniers.

5h45 du matin. Le réveil sonne. Nous allons ce matin sur un site en périphérie de Litang : « sky burial ». Les tibétains ont une coutume très particulière pour gérer leurs morts. Le sol étant rocheux, il est très compliqué de creuser des tombes. En juste retour à la nature, ils offrent les corps aux vautours. Certains jours de la semaine, très tôt le matin, on amène les corps des dernières personnes décédées sur cette colline. Des entailles sont faîtes pour attirer les rapaces. Au bout d’un moment, lorsqu’il n’y a presque plus de chair, les hommes éloignent les vautours, et réduisent en poudre les os restant à la hache. Les oiseaux finissent le travail et il ne reste plus rien. Ce matin-là, pas de corps à enterrer « enlever ». Nous contemplons le soleil se lever sur la ville et constatons les marques des rituels : des haches et des couteaux abandonnés ça et là, et les vautours qui resteront sur leur faim.

Ballades dans Litang. Nous assistons à la cérémonie matinale des lamas au monastère Chöde Gompa. Passage par la maison du 7ème Dalaï Lama. Puis au parc du temple blanc. Là-bas, un immense stupa renferme un énorme moulin à prière. Il faut la force de plusieurs personnes pour le faire tourner. A l’invitation d’une mamie (oui, j’adore les mamies) sublime (yeux bleus, teint bruni, sourire sans dent, costume traditionnel, et tête complètement nattée), je me joins aux personnes déjà présentes pour contribuer à faire tourner la machine dans la joie et la bonne humeur.

Passage au restaurant tibétain. Thé salé (en fait, il s’agit de thé, de beurre de yak, d’eau, de sel et de farine d’orge grillé), et autres plats à base d’orge, de pomme de terre, de viande de yak.

Le jour suivant, nous quittons l’auberge de bon matin pour rejoindre le petit village de Lamaya. Nous sommes décidés à lier économies et rencontres et tentons notre chance en stop. Très rapidement, un camion s’arrête. Il va à Lhassa et nous dépose gentiment quelques kilomètres plus loin à l’intersection souhaitée. Quelques voitures plus tard, un pickup accepte de nous prendre. Deux heures plus tard d’une conduite très hasardeuse dans des paysages caillouteux et nous voilà dans le petit village de Lamaya. Le village nous semble mort. Quelques commerces tenus par des chinois le long de la route principale empruntée par de nombreux camions transportant des matériaux. Puis des petites ruelles où nous ne croisons que quelques personnes. Nous prenons la route pour le village de Naiganduo, à mi-chemin entre Lamaya et le temple Lenggu, à une dizaine de kilomètres. Nous enchainons les montées et les descentes et à cette altitude, nous sommes vite essoufflés. Sur cette route, quelques voitures et des motos nous dépassent et nous saluent. Principalement des moines. Généralement dans des gros 4x4. (Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les moines tibétains sont très modernes et équipés des derniers smartphones et autres 4x4 récents. Où gagnent-ils cet argent ? Probablement des gens qui leur en donnent beaucoup. A creuser. Mais on est loin de la supposée vie monacale !) L’un d’eux, rempli de moines, nous salue par la fenêtre et nous balance une canette de soda pour nous aider. Sympa et curieux à la fois comme démarche !

Nous essuyons un orage. Celui-ci passé, nous découvrons la beauté de la montagne Génie sous un ciel bleu, avec ses neiges éternelles au sommet. Spectacle grandiose ! Cette montagne culmine à 6200m et est la 13ème montagne sacrée du bouddhisme. En fin d’après-midi, nouvel orage qui n’en finit pas. Nous arrivons au petit village de Naiganduo sous la pluie et espérons une accalmie pour planter notre tente. Quelques villageois sont intrigués par notre présence. Il va bientôt faire nuit. Nous expliquons que nous cherchons un endroit sec où monter notre tente. Une mamie nous fait signe de la suivre et nous invite chez elle. En fait, c’est la maison de toute la famille et 4 générations vivent ici. Il y a une grande maison avec un étage d’un côté, et un autre bâtiment qui est en fait une seule grande salle commune où se trouve le poêle et des banquettes tout le long. Nous sommes accueillis avec du thé au beurre salé. Nous conversons tant bien que mal avec Tchuja, le père de famille (de 26 ans). Il est le seul à pouvoir déchiffrer un peu de chinois de notre traducteur. Sinon, tout le monde parle un dialecte tibétain uniquement. Il est marrant Tchuja. C’est un gai luron ! Il nous montre des vidéos de lui sur son téléphone en train de chanter. Il prend soin de sa longue chevelure. Ici habitent : Tchuja et sa femme ainsi que leurs 3 filles dont la dernière de 2 ans (nous ne verrons pas les 2 premières qui sont en pension dans un autre village pour pouvoir aller à l’école), sa belle-mère (qui nous a invité) et sa grand-mère. Un ragout de pomme-de-terre plus tard, les discussions (ou plutôt les mimes) vont bon train. Tchuja nous invite à dormir sur la banquette le soir. Et il veut nous garder plus longtemps. Il nous prête pour le lendemain sa deuxième moto pour nous rendre au temple Lenggu et revenir dormir chez lui le soir. OK ! Notre marche nous a bien fatigué et l’idée de la moto réjouit Mathieu. Nous nous endormons dans nos sacs de couchages sur une banquette de la salle commune, la belle-mère de Tchuja s’installe sur celle en face de nous. Le lendemain matin, petit-dèj de thé au beurre (rance) salé, riz et ragout de pomme-de-terre. Nous aimerions une bonne douche et attendons de voir comment la toilette du matin se passe dans cette famille. Lorsque je demande les WC, Tchuja m’indique la porte qui mène derrière la maison. WC grandeur nature ! Pas de salle d’eau non plus. Nous les voyons se débarbouiller avec de l’eau dans une bassine dans la cour. Des téléphones portables, une immense TV dans la salle commune et pas d’eau courante ni de toilettes… Nous passons un peu de temps avec la petite de 2 ans et l’arrière-grand-mère de 78 ans (sans dent et bien sûr adorable) avant de partir. C’est sûr, c’est plus facile à moto ! Nous arrivons au temple Lenggu en fin de matinée. Ce monastère assure la formation de 10aines de moines de tous âges. Il a été construit au pied de la montagne sacrée Génie. Nous entrons d’abord dans un bâtiment qui ressemble à une grande salle des fêtes. Et pour cause, il s’est passé quelque chose ici ! Le sol est pour moitié jonché de détritus, canettes, bols de soupes instantanées, graines de tournesols, emballages divers. (A ce propos, nous ne pouvons que tristement constater que la planète ne peut pas non plus compter sur les moines tibétains pour réduire les déchets.) Pour moitié car le reste vient d’être nettoyé par 3 moines qui font tranquillement une pause assis parterre lorsque nous entrons. Ils nous invitent à nous assoir à côté d’eux et nous offre une bouteille de soda. Ils me demandent ensuite de les prendre en photo devant le portrait du Dalaï Lama. Hasard de la vie, nous découvrirons plus tard en montrant les photos de retour chez Tchuja, que l’un de ces trois moines est son beau-frère ! Nous allons ensuite dans le temple principal. Les portes sont fermées mais il y a beaucoup de petits moines qui attendent devant. Ils s’attroupent autour de nous, curieux. Nous nous faisons confirmer que nous pouvons entrer. L’intérieur est tout de bois sculpté. C’est magnifique. Quelques moines importants prennent place. Puis, à un certain signal, les moines adultes entrent. Puis enfin, tous les petits moines arrivent en courant et en faisant trembler le sol. C’est en fait l’heure du repas. Après quelques prières, la distribution commence. Les tâches sont bien réparties. La distribution pour certains, le balayage pour les autres. Un bol de soupe (chacun sort son propre bol), un fruit, du thé et … une canette de coca. Hallucinant ! S’en suivent de longues récitations de prières rythmées au son du gong, de la cymbale ou d’une trompe. Nous nous éclipsons pour profiter de l’air pur de la montagne.

Retour chez Tchuja. Il est occupé à bricoler une espèce de rotofil ainsi que sa moto avec des amis. Des amis qui ne cessent d’arriver tout au long de la soirée. Mon appareil photo devient un jeu et tous veulent être pris en photo. Diner autour d’un bol de riz et d’un ragout de pomme de terre à la viande de yak. Les bols en cartons et baguettes jetables sont de sortie. Les convives, une bonne dizaine, rigolent ensemble et surtout passent du temps devant leurs téléphones à regarder des vidéos et des photos. Soudain, Tchuja se lève et précise que lui et ses amis vont danser. Ils se recoiffent, vérifient leur look et mettent leurs grands manteaux fourrés et leurs masques (l’air étant sec, les jeunes portent presque tous des masques contre la poussière et pour se protéger du froid). Nous ne savons pas où ils vont danser. Il ne reste plus que les plus âgés et les ados dans la salle commune. Nous sommes épuisés et nous couchons malgré leur présence. Ils ne tarderont pas à aller dormir eux aussi.

5h30. La femme de Tchuja entre dans la salle commune et s’active à démarrer le feu, à faire chauffer de l’eau et à faire à manger. Nous ne comprenons pas ce qui nous arrive. Les amis de Tchuja arrivent et déjeunent avant de ressortir. Ils ont dormi sur place. Que se passe-t-il ? Nous nous levons et allons les rejoindre dehors. Il est 6h, il fait encore nuit noire, et la moisson d’orge vient de commencer à la lumière d’une ampoule branchée sur batterie. Voilà pourquoi Tchuja était autant enthousiaste avec son rotofil. Il vérifiait le fonctionnement de la machine avant le jour J. Nous finissons par comprendre, certes avec un train de retard, le pourquoi du comment. Deux rotofils coupent la paille, les autres de la rassembler en ballots. Nous mettons la main à la pâte malgré les contestations de la belle-mère de Tchuja qui voudrait qu’on se repose. Maintenant que nous sommes levés… Et puis tout se fait dans une très bonne humeur et ça nous fait plus que plaisir de participer après toute la générosité de cette famille. La pause me fait froid dans le dos par son contenu : des sodas et nombreux biscuits sucrés emballés. C’est fête ! Ici, ils ne voient pas encore les dégâts que causent tous ces déchets et cette alimentation industrielle. Ils y voient avant tout du temps de gagné et de la simplicité. Ils jettent les déchets parterre. Comment leur reprocher les erreurs que nous avons fait quelques décennies plus tôt (et que nous continuons à faire malgré tout !). Ils n’ont bien évidemment pas de système de ramassage d’ordures.

En fin de matinée, les trois champs de Tchuja sont tous coupés. Tous les champs alentours ont également été moissonnés ce matin. On a ainsi évité la poussière. Après le déjeuner, nous quittons la famille et les quelques amis encore présents. Tchuja tient à nous ramener à Lamaya en moto. Trois sur une moto plus deux gros sac-à-dos, ce n’est pas un problème. La moto démarre, musique à fond dans l’immense enceinte derrière. C’est parti. Mathieu, pris en sandwich au milieu, mange la chevelure de Tchuja qui chante. C’est vraiment cocasse comme situation ! Il nous dépose à Lamaya, le village qui a retrouvé de la vie à ce qui semble être une heure de sortie d’école.

Nous devons maintenant trouver un véhicule pour nous ramener à Litang, environ 70km plus loin. Nous nous installons. Les voitures semblent uniquement aller dans l’autre sens. 1 heure. Un papi nous propose de venir manger chez lui. Nous déclinons de peur de manquer la seule voiture. 2 heures. C’est vrai que la plupart des tibétains ont des motos, pas des voitures. 3 heures. Une voiture de chinois nous snobe. Des gamins viennent nous tenir la jambe. Nous commençons à nous faire à l’idée que nous n’aurons pas encore de douche ce soir… Un bus vient faire demi-tour dans Lamaya et nous prend. Il ne nous avance que de quelques kilomètres, jusqu’au cabanons des ouvriers du chantier de la route… 4 heures… Aucune voiture ne passe. Nous repérons un endroit pour planter la tente. Soudain, un énorme 4x4. Nous arrêtons la voiture. Un couple de touristes chinois de retour du temple Lenggu. Ils acceptent avec beaucoup de gentillesse de nous prendre. Victoire ! Mathieu savoure son plaisir de rentrer se doucher dans un 4x4 de luxe. Et nous voilà !

Demain, nous partons vers le sud en stop. Les peurs de débutant vis-à-vis du stop commencent à s’estomper. Où cela va-t-il nous mener ?