25/11/2017 – Yensabai farm un jour de pluie – Laos – par Priscilla

Le Laos. A peine avons-nous passé la frontière que je m’amuse au jeu des différences. Et curieusement, elles sont frappantes. Nous entrons au Laos par une région montagneuse. Des fleurs partout, des rouges et des jaunes. Et la nature à perte de vue. Beaucoup de forêts. C’est un pur bonheur ! Le Vietnam, avec ses 90 millions d’habitants a optimisé le moindre espace pour ses rizières et différentes cultures. A côté, le Laos et ses 7 millions d’habitants, a conservé sa végétation originale dans ses montagnes. La forêt et la jungle, recouvrent le territoire. C’est la raison pour laquelle le Laos compte encore des spécimens sauvages d’animaux en voie de disparition comme le tigre d’Asie ou le pangolin. Quel plaisir de sillonner dans ses routes montagneuses.

Dès le passage de frontière, nous traversons bien quelques villages, mais la faible densité de population nous offre l’honneur d’avoir la route presque entièrement à nous. Bien sûr, elle reste quand même bien cabossée.

Très vite aussi nous remarquons une grande pauvreté dans certains villages de montagne. De la poussière, des cabanes en bois, des bouilles sales, des cheveux hirsutes, des vêtements déchirés, un seul point d’eau extérieur, des gens hagards. Certainement des Hmongs, un peuple persécuté depuis longtemps par les autorités communistes pour avoir soutenu les français et américains, un peuple qui s’est réfugié dans les montagnes. Sacré contraste avec les immenses et tout nouveau pick-up Toyota blancs que nous voyons partout dès que nous redescendons un peu. De belles et grandes maisons, la société de consommation qui explose avec les produits importés de Chine. Au Vietnam voisin, je n’avais pas remarqué autant de disparité.

Une autre chose m’interpelle aussi dans les villages. Des publicités pour le maïs 777 ou le maïs 888. Je crains que Monsanto et compagnie soient déjà en train de coloniser les petits paysans laotiens qui vont perdre peu à peu leur savoir-faire ancestral. C’est très triste.

Au jeu des comparaisons, il y a aussi les points communs et le principal, l’accueil ! Toujours aussi chaleureux, bien qu’un peu plus réservé.

Premier arrêt à Muong Kham, une petite ville sans intérêt particulier mais où nous restons deux jours, histoire de nous remettre de ce long périple avec Lucky. Note petit hôtel se trouve à côté d’une place qui s’anime le soir. A cheval entre fête foraine, marché de nuit, scène de concert. On peut aussi bien y acheter des slips, que rebondir sur un gonflable ou prendre le micro pour un karaoké. Un soir, beaucoup de monde sur cette place. Les 2-roues sont rangés en bataille. Nous apercevons des adolescentes en costumes traditionnels. Elles se préparent pour le spectacle de danse sur la scène avec d’autres écoliers. Les jeunes filles viennent spontanément à notre rencontre pour pratiquer leur anglais. Je suis surprise de leur audace. C’est l’heure de monter sur scène. De jolies danses avec des mouvements de mains très expressifs, qui rappellent les danses indiennes. Les papas et les mamans, fiers, passent devant pour enregistrer les prestations avec leurs téléphones. Et ce commentateur qui s’obstine à mettre de l’écho dans son micro. Une fois le spectacle terminé, place au gros son dans les enceintes. Du son aux influences thaïs, très rythmé et énergique. La Thaïlande bataille pour garder une emprise sur le Laos en inondant le pays de sa culture musicale et télévisuelle ainsi qu’en y installant de nombreuses entreprises.

Petite balade au marché. Sur les étals, nous trouvons des sachets remplis de criquets ou de grosses larves blanches (encore vivants). Miam !

Lucky est assez reposée. Nous reprenons la route pour une autre bourgade plus au nord appelée Sam Neua. Sur le chemin, de nombreux villages où nous pouvons apprécier le travail des tisseuses. Presque chaque maison dispose d’un métier à tisser où les femmes tissent patiemment des tissus sublimes aux motifs typiques. Une couleur principale et des motifs en fils de soie. Ces tissus servent principalement aux jupes portées par les femmes. Un savoir-faire très beau.

Sam Neua est une petite ville traversée par une rivière. Elle a grossi ces derniers temps très rapidement avec l’influence du tourisme. Nous suivons les petits moines oranges. Un temple bouddhiste, très différent de ceux que nous avions pu voir en Chine. Là-haut sur sa colline, le temple domine la vallée. Il fait chaud ! Les laotiens, contrairement aux vietnamiens, sont très pratiquant. Chaque homme doit, à un moment dans sa vie, être moine, que ce soit pour une semaine ou plusieurs années.

Balade dans un village alentours. Début d’après-midi, la dernière maison du village fait la fête. On nous appelle pour les rejoindre. Le verre de laolao, l’alcool local, tourne. Nous buvons chacun notre tour dans le même verre, observés de tous. On y mange des chips de banane et une sorte de gros gâteau apéro soufflé. J’apprendrai plus tard qu’il s’agit de peau de buffle séchée et soufflée. Les laotiens ont mille et une façons de manger la peau de buffle ou de cochon. Et ils en raffolent. Seul un officier parle quelques mots d’anglais. Avec le langage des signes, nous rions beaucoup. Lorsque le téléphone capte un petit signal, nous utilisons la traduction. Nous apprenons que cette joyeuse bande célèbre un grand événement. La femme de cette maison vient de donner naissance aujourd’hui à un petit garçon. On boit, on mange dans la joie. Nous les quittons pour aller nous promener dans la campagne. Des rizières paisibles de part et d’autre de la rivière. Pour irriguer les rizières, les villageois utilisent un ingénieux système de moulin pour remonter l’eau à un niveau supérieur. Au retour de notre promenade, l’alcool tourne toujours et nous sommes de nouveau invités à boire et manger. Belle entrée en la matière pour le Laos !

A Sam Neua, nous retombons souvent sur des vietnamiens : au restaurant, chez le mécanicien de moto, au café. Nous ne sommes pas très loin de la frontière. Il y a beaucoup d’immigrés vietnamiens. Notre voisin à table nous explique qu’il vient faire du business ici. Ça lui plaît aussi car il peut facilement se procurer de l’opium. L’opium. Ingrédient principal pour fabriquer la cocaïne. Quand on voit l’inexistence des fouilles aux frontières, on imagine bien que ce business peut être un jeu d’enfant. Après quelques recherches, nous comprenons que les ethnies locales ont toujours eu pour habitude de cultiver l’opium à des fins curatives. Sans accès aux soins, les populations des montagnes en font un excellent médicament, avec les risques d’addiction tout autant dangereuse bien sûr, pour les adultes comme pour les enfants. Et puis l’opium est devenu un business à plus grande échelle. Le gouvernement avec des programmes internationaux ont bien tenté de l’interdire mais ils n’ont pas réellement réussi à lui substituer une autre source de revenu pour les familles. En plein dans le triangle d’or de la drogue avec la Birmanie et la Thaïlande, le Laos continue modérément sa production, tolérée pour un usage local dans les villages de montagne. Les autorités ferment les yeux. On imagine la corruption.

Dernière ligne droite avant de rejoindre le lieu de notre volontariat, la ferme Yensabaï, chez Xay. Nous l’avons trouvé sur le site wwoofing, spécialisé dans les fermes bio. Nous avons hâte de nous retrouver enfin dans une vraie ferme. Nous rejoignons d’abord Nong Kiaw, une petite ville très touristique au bord d’une rivière appelée Nam Ou. Les instructions de Xay sont les suivantes : de Nong Kiaw, il faut rejoindre en moto le village de Sop Keng, situé à 14km. Là, il faut interroger les gens (tout le monde le connaît) et laisser la moto quelque part. On ne peut atteindre sa ferme qu’à pieds. Sur le papier, cela semble très simple. Nous partons tranquillement dans l’après-midi après avoir roulé toute la matinée. Ça devrait pas être très long. La réalité est un peu différente. La seule route qui relie le village est plutôt une piste argileuse défoncée qui longe la rivière principale et traverse plusieurs de ses bras. 14km de montées et de descentes entre jungle et rivière. Mathieu doit choisir les meilleures trajectoires, éviter les crevasses. Pas de droit à l’erreur. Soudain, en bas de la piste, une rivière plus conséquente. Un 4x4 est en train de se démener pour remonter la pente après son passage dans l’eau. Des personnes poussent. Des adolescents à scooter ou moto reviennent de l’école. Ils prennent quotidiennement cette route périlleuse pour aller étudier. Pour eux, cela ne semble être qu’une formalité. Pause cigarette en cachette, on remonte le pantalon pour traverser, bouche le pot avec des feuilles, et la traversée se fait en un clin d’œil. Notre hésitation les amuse. Aller, on y va. Passage dans l’eau et remontée boueuse réussie ! Un peu plus loin, une minime faute d’attention nous fait chuter. Rien de grave, mais la chaîne est détendue. La nuit commence à tomber et nous avons encore la moitié du chemin à parcourir. La chaîne saute à chaque bosse. Nous n’avons pas d’outils. Les jeunes à qui nous demandons de l’aide non plus. J’envisage quelques temps de camper là. Mathieu est décidé à continuer. Nous roulons au pas. Je descends dans les montées pour éviter que la chaîne saute à nouveau. Il fait nuit quand nous arrivons au village. Deux jeunes qui se lavaient à la lampe torche dans la rivière nous accueillent. Nous laissons la moto à l’abri derrière une maison et ils nous conduisent jusqu’à la ferme Yensabaï. C’est dans ce petit coin de paradis que nous allons passer une semaine et demi.