Nous quittons Tombula la larme à l’œil. Avec l’aide d’un jeune local rencontré un peu plus tôt, nous préparons notre voyage en bateau en remplissant notre sac de friandises appelées golakaluku. Si l’on ne fait pas très attention, on pourrait croire qu’il s’agit de gousses d’ail. Mais ces petites boules blanches, spécialité de Bau-Bau d’où nous prenons le départ, renferment une sucrerie brune délicieuse à base de noix de coco et de sucre de palme brun (ça fait un peu penser à l’intérieur d’un Bounty, mais en 10 fois meilleur). A tomber par terre ! Voilà qui nous aidera à supporter la nourriture peu appétissante du bateau.

Nous embarquons sur le ferry et trouvons de suite une place près de l’entrée du dortoir. Nous observons la cohue de l’embarquement. A chaque arrêt, c’est la même chose. Sur les tickets du bateau, nous avons un numéro et donc une place dédiée. Pourtant personne ne respecte les numéros, certains occupant 2 voire 3 places avec des bagages. Les dortoirs deviennent le lieu d’une véritable guerre. Avant même que les ponts soient complètement installés pour embarquer et débarquer les passagers, des dizaines de « bagagistes » se ruent littéralement à l’intérieur. Celui qui tombe se fait marcher dessus. Cela semble être un rituel et certains font preuve de beaucoup d’imagination pour grimper sur les rembardes et espérer monter à bord en premier. L’enjeu est de réserver les places de ceux qui descendent devenues libres pour ceux qui montent. On en vient parfois aux mains. Nous sommes complètement stupéfaits de cette désorganisation violente, alors qu’il suffirait… que les gens respectent les numéros. Il y a aussi les vendeurs et surtout les vendeuses qui se précipitent pour écouler leurs différents produits, fruits, sucreries ou repas. Après les premiers stops, nous comprenons qu’il vaut mieux que l’un de nous deux reste toujours à proximité de nos sacs pendant les escales. Le défilé de bagagistes (près à éjecter des sacs pour libérer des places pour leurs clients), de vendeurs et de nouveaux passagers est une telle cacophonie qui encourage à plus de vigilance. Je pars donc seule pendant les escales à la recherche de fruits sur le port. Je suis surprise de retrouver toujours et en grande quantité les mêmes produits industriels que sur le bateau (sodas en tout genre, biscuits et les nouilles instantanées Pop Mie). Trouver des fruits relève parfois du défi. Ça me parait insensé quand on sait la facilité qu’ils ont à pousser dans cette région du monde.

Banggai, Bitung, Ternate, Babang, Sorong, Manokwari, Biak… Au fur et à mesure que nous avançons dans notre voyage, nous quittons l’Asie et rejoignons peu à peu l’Océanie. Les visages se font plus sombres et les cheveux se frisent. Comme à Sumatra, nous retrouvons des sourires rougis par le bétel. Ce ne sont plus les feuilles de bétel qu’ils chiquent avec du tabac. Ici, ils mangent les noix de bétel, autrement appelé noix d’arec, qui provient d’un tout autre arbre qui ressemble à un petit palmier. Ils accompagnent cette noix d’une petite branche verte (ils l’appellent « mustard ») au goût très prononcé qu’ils trempent d’abord dans de la chaux (faite à base de coquillage). C’est cette poudre blanche, la même qu’à Sumatra, qui crée la réaction chimique responsable de la coloration rouge. Ce mélange a des propriétés un peu euphorisantes et coupe-faim. C’est aussi cancérigène… Partout, ça chique et ça crache. A Manokwari, nous avons vraiment la sensation d’arriver dans un nouveau pays. De nombreux passagers qui montent embarquent avec eux des dizaines de paniers de fruits. Ils vont voyager toute la journée pour arriver le soir sur l’île de Biak où ils feront le marché. Les couloirs sont encombrés des marchandises et des passagers installés par terre. L’ambiance dans le bateau prend une tournure plus… reggae. Ça chante sur le pont. Une bonne humeur générale. Ça boit aussi. Un peu d’alcool. Un début de bagarre. Même si l’appel à la prière quotidien nous rappelle que nous sommes encore en Indonésie, le plus grand pays musulman au monde, nous arrivons bel et bien dans une région d’une toute autre culture. J’adore cette douce transition que nous offre le lent voyage en bateau.

Dans le dortoir, malgré l’interdiction, ça fume, ça fume, ça fume. Clope sur clope, quasiment tous les hommes (et certaines femmes papoues) fument, à toute heure de la journée ou de la nuit. Un aquarium. Nos poumons passent un très très sale moment. Nous pouvons nous accommoder des cafards, de la nourriture sans saveur, de la chaleur, de la lumière et de la télé allumées en permanence ou encore de l’hygiène discutable dans les douches/toilettes… Mais la fumée, c’en est trop pour nous. Nous fuyons donc le dortoir la journée et supplions nos voisins d’aller fumer dehors. Autant pisser dans un violon. C’est que les publicités par et pour les marques de tabacs sont placardées absolument partout. « Pro never quit » sur la photo d’un sportif ou d’un aventurier de l’extrême. Ou alors le tabac effet glaçon. Mensonges marketing. Il y a bien une petite mention précisant la dangerosité du tabac. Mais les gentilles têtes de mort me font plutôt penser à une image de Pirates des Caraïbes. On comprend mieux et on plaint le pays lorsque le cancer du poumon sera à son apogée.

Dans notre recherche désespérée de trouver un endroit où nous pouvons respirer, nous allons au restaurant, un grand espace propre et climatisé avec des tables et chaises… vides. Nous nous y faisons refouler sous prétexte qu’il est réservé aux premières classes, ceux qui logent dans les cabines. On nous indique la cafète pour les 2èmes classes. Et là, l’absurdité de la situation m’apparaît en pleine face. Un immense restaurant climatisé pour les quelques passagers de 1ère classe, principalement le personnel de bord haut-gradé, et une minuscule cafète pour les centaines de passagers de 2ème classe. Plutôt que d’améliorer un petit peu le confort de tous en utilisant l’espace du bateau pour tous, on préfère réduire le confort de la majorité pour augmenter le confort d’une minorité. Tout cela pour renforcer l’inégalité et créer une grande distinction entre eux et nous. Et surtout éviter de se mélanger. Quel est l’intérêt à part de flatter un réconfortant sentiment de supériorité et de pouvoir ? Parfois, une quinzaine de hauts-gradés en costumes blancs débarquent dans les dortoirs pour contrôler les tickets. Du côté des passagers, nous avons l’impression de voir des enfants qui se font surprendre par des parents rentrés plus tôt que prévu. Tout le monde éteint en vitesse sa cigarette et se tient tranquille. La répression pour infantiliser plutôt que la pédagogie pour responsabiliser. Pas étonnant que nous nous retrouvons dans un aquarium. Ces hauts-gradés m’inspirent une grande antipathie. Lorsque je leur parle de l’inconfort de la cigarette, je me vois répondre « ahhh ! ces indonésiens sont incorrigibles ! nous allons refaire une annonce aux haut-parleurs, mais bon… ». Sous-entendu : le bas peuple ne sait vraiment pas se comporter, mais on ne peut pas y faire grand-chose… Pffff !

Dans la petite cafète, nous prenons le temps d’écrire et de trier nos photos. C’est aussi l’endroit où le « petit » personnel de bord et quelques passagers (dont moi) se livrent à du karaoké pour passer le temps. Haha ! Tout arrive ! Sur le pont, quelques discussions superficielles. Peu de passagers parlent anglais. Avec l’aide de notre nouveau téléphone (oui, nous avons investi en Sulawesi à cause du manque de connexion wifi), nous discutons avec 2 jeunes soldats sympathiques qui sont étonnés de voir que nous n’allons pas à Raja Ampat, LA destination touristique phare de la Papouasie occidentale. La suite du voyage ne nous fera pas regretter notre choix.

Nous débarquons, après 5 jours de voyage, à Jayapura, la dernière ville indonésienne avant la Papouasie Nouvelle-Guinée. Grand dépaysement. L’Asie est bel et bien derrière nous. Bob Marley est dans la place. Ici, on est chrétien. Ça crache rouge. Partout, des petits stands vendent des pyramides de noix de bétel. Sur le port, on vend aussi des sacs tricotés à la main en couleurs ou en fibre naturelle. C’est l’accessoire incontournable local. Nous prenons contact avec Yan, un hôte couchsurfer. Il habite à proximité du lac Sentani, à l’écart de Jayapura. Nous prenons un mini-bus vert et l’attendons au terminal de bus Entrop. Nous sommes le soir et il fait nuit. Des personnes viennent à notre rencontre. Elles sont inquiètes de nous voir attendre ici. Nous devons les rassurer que tout va bien et leur montrer que nous attendons bien un ami pour qu’elles acceptent de nous laisser. Nous découvrons l’hospitalité papoue ! Pendant ce temps-là, au milieu des mini-bus en attente, une bagarre entre deux femmes explose. Elles se battent par terre et les gens s’attroupent autour. Pour les personnes présentes, tout est normal. En référence à la lecture de l’ouvrage de Jared Diamond « Le Monde jusqu'à hier : Ce que nous apprennent les sociétés traditionnelles », je mets la violence papoue sur le compte de la « trop récente » introduction des lois d’états (supposées garantes de la paix). Avant leur adoption, les tribus avaient l’habitude de faire leurs propres lois et de se rendre des comptes eux-mêmes. Imaginez ce qui se passerait chez nous s’il n’y avait pas de lois pour encadrer les conflits. Ou peut-être est-ce l’alcool… La bagarre se termine aussi vite qu’elle a commencé et la foule se disperse. Nous sommes bientôt rejoints par Yan.

Yan est un jeune homme qui impressionne par sa carrure. Il est plutôt grand et gros. Mais sa petite voix traduit une grande timidité, tandis que son sourire indique un grand cœur. Au début, c’est un peu compliqué avec Yan. Il est hyper-hyper connecté, en permanence les yeux sur son téléphone. Dans ces conditions, difficile d’avoir une simple conversation. Mes questions trouvent des réponses très courtes. Les yeux retrouvent immédiatement l’écran. Nous aurons plus tard l’occasion de le lui faire remarquer, et ses efforts nous récompenseront de grandes parties de rigolade et d’échanges.

Yan est un local du lac Sentani, dans l’arrière-pays de Jayapura. Il a grandi sur une des îles du lac et il a même de la famille à Vanimo en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Il habite avec ses deux petits frères dans la maison familiale, leurs parents étant tous les deux morts. La maison est toujours ouverte et tout le monde, et surtout la famille, entre comme il veut. C’est que la notion de famille est différente de chez nous. Un très bon ami devient vite un frère, une tante devient vite une mère, une voisine devient vite une tante…

Nos premières journées sont consacrées à nos formalités de visa pour la Papouasie-Nouvelle-Guinée. C’est gratuit, mais il ne faut pas moins de 5 jours ouvrés pour le recevoir. Et puis il faut un billet d’avion retour. Nous achetons le moins cher possible en direction de l’Australie. Si besoin, nous espérons pouvoir l’annuler.

Un ami de Yan a la gentillesse de nous prêter un scooter. Nous nous rendons avec lui à un de ces cours photos où il assiste le professeur. Il était son élève l’année dernière. Le cours se déroule dans un centre de jeunesse chrétien où des activités sont fournies gratuitement pour les jeunes après l’école. Nous y rencontrons Charly, un ami de Yan avec qui nous passons la soirée. Charly est originaire de l’île de Biak. Il travaille dans un centre d’anglais où des étudiants viennent vivre pendant une année scolaire pour améliorer leur niveau d’anglais. Nous irons rendre visite à sa classe le mardi suivant.

C’est samedi, il fait beau et chaud, Yan veut nous faire découvrir une petite plage paradisiaque. Nous y allons en compagnie de Charly. Noix de coco fraîche sur un point de vue sur la baie puis direction la plage Pasir 6. Nous comprenons vite pourquoi la météo est importante. Avec un peu de pluie, le chemin escarpé pour descendre à la plage aurait été impraticable. Cette boue glissante me fait très peur. Cette plage doit vraiment valoir le coup. Et effectivement, un petit paradis de sable fin et d’eau turquoise, avec une jolie cascade rafraichissante juste derrière et un point de vue sur la mer. Quel terrain de jeu incroyable pour les enfants des gérants de la plage. Ils grimpent aux arbres, remontent la cascade, le tout pieds nus bien sûr. Ce sont des personnes de la famille de Yan qui ont ouvert le chemin d’accès dans la forêt et gèrent l’entretien de la plage et le petit magasin. Ça a dû être un boulot titanesque. La tante et la cousine de Yan parlent anglais car elles viennent de la PNG. Elles nous apprennent à mâcher les noix de bétel. Le goût est vraiment spécial. Il m’en faudra plus d’une pour m’y habituer. Eux adorent ça, et même les enfants en raffolent. Ça a un effet énergisant et joyeux selon eux.

Le soir, nous allons manger chez Relly, la tante de Yan, qui nous prépare la spécialité locale, le papeda. Cela ressemble à de la gelée gluante qu’ils mangent à la place du riz, avec du poisson et des légumes en sauce. Le papeda est de la farine de sagou, un arbre à la base de l’alimentation papoue, mélangé à de l’eau chaude. Lorsque le mélange se fait, ça devient gluant. C’est surtout l’accompagnement qui donne du goût. Et celui que Relly nous cuisine, avec des légumes et du lait de coco est tout simplement délicieux.

Après un dimanche glandouille à écouter du reggae local et regarder le voisin rasta peindre ses jolis portraits, nous passons un lundi shopping. Nous avons cruellement besoin d’acquérir une moustiquaire pour enfin passer une bonne nuit. Et puis nous achetons au marché et au supermarché des ingrédients nécessaires pour une soirée pizza. Yan est le plus heureux des hôtes couchsurfers à découvrir comment faire des pizzas franco-papou-italiennes. Yan adore manger ! Nous avons quand-même mis quelques piments pour nous adapter au palais local. Et du fromage, qui ressemble à de la Vache qui Rit, donc pas vraiment du fromage au sens français du terme, et surtout qui ne fond pas sur la pizza. Bizarre, mais nous sommes quand-même agréablement surpris du résultat, notre dernière pizza remonte à la Chine. Nous nous régalons !

Journée au centre d’anglais de Charly. Ces ados sont incroyables. Nous assistons à leur représentation spéciale de « Celebrity show ». Les équipes l’ont préparé depuis plusieurs semaines et doivent animer en anglais leur show télévisé avec pour invités, les personnalités dont ils sont fans. De vrais acteurs ! Quelques stars indonésiennes et surtout américaines sont présentes sur le plateau : Lionel Richie, Barrack Obama, Willow Smith, 2pac, Lionel Messi, mais aussi un des deux frenchies appelés Les Twins, des danseurs très talentueux. Démonstration des talents des célébrités à l’appui. Génial !

Le lendemain est un grand jour. C’est le premier des deux jours de mariage d’Irma et Markus. Irma est une amie de lycée de Yan et enseigne également au centre d’anglais. Nous retrouvons toute la classe de bonne heure le matin à l’embarcadère pour prendre le bateau. Le mariage a lieu de l’autre côté du lac Sentani, dans le petit village d’où est originaire la famille de la mariée. La mariée a un statut un peu spécial puisqu’elle est la fille du gouverneur de Jayapura. Cérémonie à l’Eglise en grande pompe avec plusieurs chorales gospel, des orchestres, des gros 4x4 de policiers hauts-gradés, des personnages « importants » et des mariés qui se font attendre. S’en suit un déjeuner sous forme de buffet avec les spécialités locales pour plusieurs milliers de personnes. Les habitants, la famille, les amis des mariés, les relations du père, sans parler des amis d’amis. Ça en fait du monde. Travaux pratiques pour les élèves qui sont chargés de prendre des notes pour relater l’événement en anglais.

Le deuxième jour, nous nous rendons le matin chez les mariés. Ils sont censés allez planter des arbres à sagou selon la tradition locale. Mais ils se sont levés trop tard. Quelqu’un a dû les planter pour eux. Nous sommes prêts à partir et attendons la mariée qui se fait coiffer et maquiller (pourquoi tant de maquillage !). Nous attendons également un chauffeur. La maman de Markus lui a interdit de conduire le jour de son mariage. Le chauffeur se faisant désirer et peu de personnes possédant le permis, c’est Mathieu qui se retrouve à conduire les mariés. Qui l’eut cru ? Direction le bord du lac où nous avons pris le déjeuner la veille. Les chapiteaux sont encore en place. Aujourd’hui, c’est la fête de l’eau, très importante ici. Le déjeuner est offert aux villageois, familles et autres invités. Nous profitons du cadre magnifique du lac. Nous croisons plusieurs personnes en costumes traditionnels, et même un bateau décoré. Ce serait pour le spectacle du soir, qui est annoncé comme grandiose. Nous ne savons pas trop à quoi nous attendre. La très gentille Irma nous racontait dans la voiture que la soirée allait se dérouler dans un lieu particulier et très symbolique. Du temps de son grand-père, celui-ci s’est fait éjecter de son village en raison de conflits de pouvoir. Il a atterri sur le lieu de la soirée et y à recréer un village. C’est ici aussi qu’il a reçu la « parole de Dieu » et qu’il a changé de vie. Il a notamment rejeté la magie noire de ses ancêtres. Lorsque le conflit s’est apaisé, il est retourné au village, désormais totalement évangélisé. Le lieu de la réception, qui était redevenu forêt dense depuis longtemps, a été complètement aménagé pour l’occasion. Et le résultat est très réussi. Une vue en hauteur sur le lac, un ponton pour les bateaux, des allées et des bancs pour s’assoir. Le lieu idéal pour un mariage. Nous nous rendons peu à peu compte de l’ampleur de celui-ci. 3 générateurs électriques (des camions) ont été apportés ici pour fournir suffisamment d’électricité aux nombreuses enceintes et projecteurs. Le show du soir s’avère presque digne du Puy du Fou. On met en scène les traditions et danses locales du mariage. Les familles prennent part à la représentation avec les danses, mais aussi des troupes de danseurs payés pour l’occasion. Il y a notamment les danseurs sur les bateaux décorés qui offrent leurs chants traditionnels depuis le lac. Les différentes mises en scènes montrent : les pleurs de la famille de la mariée qui doivent laisser partir leur fille ; l’accueil dans la nouvelle famille ; la dot que la famille du marié offre à l’autre et qui se matérialise en grandes assiettes selon la tradition de Biak. Après les traditions locales, on passe au gospel, à la prière collective, et à quelques chansons orchestrées à l’américaine. Le show se termine avec une chanson de Bob Marley où nous sommes autorisés à aller danser avec les autres professeurs de l’école d’anglais. Il est 21h et les musiciens rangent déjà leurs instruments. Nous restons franchement sur notre faim, nous avions tellement envie de danser. Il nous reste à attendre les mariés pour rentrer avec eux. Eux sont ravis et heureux. Tout s’est déroulé comme prévu et le show était magnifique. Un seul bémol pour Irma : elle aurait aimé boire un petit peu d’alcool. Mais puisque c’est son père qui en a interdit la vente…

Pour nous, quel mariage incroyable dans des proportions titanesques. Même pour les standards locaux, ce mariage est colossal. 5000 invités à la réception, près de 250 personnes employées à différents stades dont des personnes venues spécialement de Jakarta et même de Londres. Projecteurs, camera, flash, sonorisation. Nous n’osons imaginer le budget. Mais au final, pour quoi ? Nous en discutons avec Yan et Charly le lendemain. Ce dernier n’a pas aimé le mariage. Nous non plus en réalité. Nous avons trouvé que tout était fait pour épater la galerie et affirmer une supériorité par l’argent. Charly était un peu écœuré de voir les danses et cérémonies traditionnelles parfois balayées en quelques secondes par les enceintes puissantes de l’orchestre. Pourtant, les intentions des mariés sont teintées de gentillesse en apparence. Ils nous expliquent avoir voulu faire un spectacle contemporain (Markus est musicien et professeur artistique à l’université), mais avec tout de même des aspects de la tradition, sinon les gens ne comprendraient pas. Je retiens ma salive quand ils me racontent tout cela (c’est le jour de leur mariage quand même), mais je n’en pense pas moins. Dans tout ce qu’ils m’expliquent et sans s’en rendre compte, ils parlent clairement avec un sentiment de supériorité par rapport aux gens non chrétiens et/ou non éduqués. Irma et Markus voudraient construire un projet de développement avec un centre d’art dans le village « pour faire quelque chose quand-même pour les villageois ». Irma : « Mais c’est compliqué car la plupart parlent leur langue locale et certains ne parlent pas et ne veulent pas parler notre langue (l’indonésien) ». Moi : « Tu pourrais apprendre la langue locale ? » Irma : « Je pourrais, mais non, c’est trop difficile. » Ne peut-elle pas se « rabaisser » en faisant l’effort d’apprendre la langue du peuple. Voilà qui serait pourtant certainement bien reçu. Autre exemple : tout au long du mariage, nous avons remarqué les emplacements VIP : sur une estrade pour les repas, bien installés sur des bancs pour le show. Sur ces bancs, bien placée, une responsable touristique venant de Jakarta, invitée politique. Nous échangeons quelques paroles au moment du buffet. Elle cherche à promouvoir le tourisme business bien sûr. « Vous n’êtes pas allés à Raja Ampat ? ». Elle nous raconte aussi que son agence mène des actions de charité en envoyant notamment des médecins apporter des soins et des médicaments aux tribus très très reculées et « vivant encore nues ». Cela me rappelle l’histoire de Yan. Il a travaillé bénévolement pour une ONG comme photographe. Il est parti faire des reportages sur certaines de ces tribus. Il a arrêté sa collaboration avec la soi-disant ONG car elle voulait les sédentariser contre leur souhait. Pourquoi vouloir les faire changer s’ils sont très bien comme ils sont ? Moi : « Souhaitent-ils recevoir des médicaments de votre part ? ». La responsable touristique : « Oui, nous avons formé spécialement des médecins papous, comme ça les locaux leurs font davantage confiance. » Toute cette manipulation pour leur apporter la « civilisation » et la chimie dont ils n’ont peut-être pas envie. Moi, ça me révolte. Sous prétexte que notre civilisation serait plus évoluée (en sommes-nous bien sûrs d’ailleurs ?), il faudrait convertir les autres qui ont fait d’autres choix. Bon, oui, ce mariage était très intéressant à voir, mais il m’a un peu remonté. Moi à Irma : « Quand même, nous aurions aimé danser un peu plus ! ». Irma : « Oui, je comprends. Nous avons décidé de ne mettre qu’une chanson, sinon, les gens seraient restés jusqu’à une heure du matin »… Et alors ? Le roi et la reine se sont amusés pendant des heures sur scène et le peuple ne peut pas s’amuser un peu sous prétexte qu’il ne saurait pas se tenir. En y réfléchissant, je pense que le mode de pensée apporté par les blancs et les missionnaires chrétiens, et adopté désormais par une partie de la population locale, dont l’élite, est responsable de ce sentiment de supériorité vis-à-vis des traditions locales ancestrales. Nous avons aussi été un peu déçus de voir de nombreux aspects de la cérémonie se dérouler exactement comme chez nous. Héritage chrétien. Malgré tout, quelle expérience incroyable… qui fait réfléchir !

Dernière journée en compagnie de Yan avant de passer la frontière. Une jolie cerise sur le gâteau. Relly, la tante de Yan veut nous inviter pour le déjeuner dans son village natal. Nous sommes heureux de découvrir que pour aller dans ce village, il faut prendre le bateau en bord de mer, traverser les mangroves pour ensuite arriver à un village sur l’eau. Magnifique. L’accueil qui nous est réservé est sincère et chaleureux. Le frère de Relly parle déjà de membres de sa famille française. Nous dansons le reggae en cuisinant. Au menu : des aubergines avec plein d’herbes, de piments, de tomates et de racines comme le galanga pour donner plein de saveur, le tout arrosé de lait coco, accompagnés de papeda. Une tuerie. Et puis en dessert, citrouille et lait de coco sucrée avec des boules de sagou et noix de coco. Whaou ! Elle nous régale la tante Relly !

Balade dans le village. Nous sommes suivis par une troupe d’enfants. « Hello Mister ! » Partout en Indonésie, c’est comme ça qu’ils saluent tous les blancs, même une femme seule. Malgré une investigation poussée, personne ne sait me dire pourquoi. Ces gamins marchent pieds nus sur les pontons en bois brulant. Nous n’avons vraiment pas les mêmes pieds ! Une fin de séjour à Jayapura en beauté.

Yan s’est débrouillé pour qu’un ami nous emmène en voiture à la frontière. Un hôte en or. Le samedi, c’est jour de marché dans la zone entre les deux frontières. Les citoyens indonésiens et de PNG peuvent entrer dans cet entre-deux librement pour faire des affaires. Les papous viennent acheter des biens de consommation courante comme des vêtements, du savon, de l’essence et autres produits manufacturés non fabriqués dans le pays. Des indonésiens viennent acheter des légumes et de l’alcool, difficile à acheter à Jayapura. Yan nous accompagne jusque de l’autre côté. Comme beaucoup d’autres gens, nous nous prenons en photo devant le poste frontière. Pour quelle raison au juste ? Toutes ces barrières me font penser à une prison. On est à l’intérieur ou à l’extérieur. Côté Indonésie, le poste frontière est entièrement géré par des indonésiens de la majorité javanaise. Ça en dit long sur qui a le contrôle. Pendant qu’un garde vérifie nos visas, Yan me raconte une de ses histoires. Quand il avait 5 ans, il est allé avec sa mère rendre visite à sa famille en PNG. Pas encore de route à cette époque-là. C’est en petit bateau à moteur qu’il s’y rend avec une 12aine d’autres personnes. Ils se perdent en mer et restent 5 jours coincés dans ce bateau !

Nous quittons notre hôte formidable et montons dans un mini-bus, direction Vanimo Lido.