Ça fait déjà presque une semaine que nous avons posé le pied en France mais je n’ai pas encore l’impression d’être vraiment rentrée. Entre apéros retrouvailles avec les copains, les festivités parisiennes du 14 juillet et de la finale de la coupe du monde de football, nous avons bien choisi notre moment. Et dire qu’il y a peu de temps, nous découvrions le parc national de Yosemite en Californie.

Ce parc est vraiment grandiose et pour le découvrir, nous sommes aidés par Abby, notre hôte couchsurfer. Elle travaille pendant tout l’été comme guide pour un lodge plutôt luxueux au milieu de la forêt. Malheureusement, son logement de fonction se trouve à une heure de route. Elle se retrouve donc très souvent en compagnie d’autres guides à camper en périphérie du lodge. Nous plantons notre tente avec eux et bénéficions des installations sanitaires et salles de jeux. Il faut avouer, nous en profitons un petit peu, mais Abby nous y encourage. Le soir, une activité typiquement américaine : sous les conseils des enfants, j’apprends à faire griller mes chamallow au feu de bois au bout d’un pic ! « Comment tu sais que c’est assez cuit ? » Le gamin de me répondre : « Je mets mes doigts dedans comme ça et quand ça colle, c’est bon. » Facile ! Pour ensuite confectionner un sandwich biscuit-chamallow collant-chocolat fondant. Dur-dur les coutumes locales !

Pour notre premier jour au parc Yosemite, nous décidons d’aller explorer le Réservoir Hetch Hetchy. Paysages incroyables de roches, de végétation très sèche avec quelques fleurs et d’arbres qui parviennent à pousser dans des endroits improbables. Il y a notamment cet arbre aux formes très élégantes, un peu entortillé et à l’écorce d’un rouge foncé cramoisi. Nous y croisons aussi de jolis lézards et de nombreux écureuils terrestres, qui, en fin de journée, nous amusent à se redresser sur leurs pattes-arrières et à pousser des cris qui résonnent dans l’écho des montagnes. Nous en apprenons un peu sur l’histoire de se réservoir qui a nécessité la création d’un barrage pour retenir toute cette eau qui descend des montagnes. Dès l’idée du projet, le plus grand jusqu’alors conduit par les autorités publiques, un homme, John Muir, a mené une grande campagne pour préserver cette vallée des interventions humaines modernes. Avant-gardiste du naturel, il se battait contre l’idée du moment de la conquête de la nature et de ses ressources au nom de la prospérité économique. Jusqu’au séisme de 1906. Les incendies qui ont suivi et qui ont terrassé la ville de San Francisco ont fait basculer complètement l’opinion publique en faveur du barrage. Toute cette eau est, encore aujourd’hui, destinée à la région de San Francisco, à 275km de là. L’eau y est acheminée par des canalisations qui suivent ingénieusement la pente sans aucun système de pompage. En voyant toute cette infrastructure et ce que ça a couté à la nature dans ses modifications profondes, je me demande si les habitants de San Francisco, lorsqu’ils ouvrent leur robinet, se rendent compte de l’origine et de la pureté de leur eau. En fait, c’est une question qu’on pourrait se poser partout. Je trouve cela très dommageable que la plupart des habitants des pays bénéficiant de l’eau courante soient autant déconnectés de la source de leur eau. Il me semble que cela déresponsabilise la population en transformant l’eau en un bien acquis et non pas comme un emprunt à la nature d’où elle provient.

Un autre jour, nous attaquons de bonne heure le « four mile trail », un sentier mythique qui démarre dans la vallée de Yosemite jusqu’à un sommet. Une ascension continue sur un flanc de montagne qui offre une vue de plus en plus imprenable sur la vallée en contre-bas. Le sommet nous dévoile une vue exceptionnelle sur le demi-dôme en face. Cet effort nous fait nous sentir bien vivant ! Par endroits, nous trouvons des pommes de pin géantes. Tout est vraiment surdimensionné ici ! Finalement, au lieu de redescendre par le même chemin, nous suivons les conseils d’une famille sympathique et empruntons le « panorama trail », quelques 9 miles de plus, qui nous fait notamment passer par des cascades. Le soleil cogne sévère lorsqu’il n’y a plus de pins pour nous abriter du soleil et l’eau rafraichissante des rivières est une bénédiction. Par endroit, la végétation sèche laisse la place à de petites prairies pleines de petites fleurs. Des randonneurs dans le sens inverse nous préviennent : « attention, nous avons vu un crotale sur le bord du chemin. » Plus communément appelé serpent à sonnette, si on entend le hochet de sa queue, mieux vaut fuir. Mathieu n’est pas rassuré. Mais ce ne sera pas pour cette fois. Nous pourrons observer à loisir plus tard un beau spécimen de crotale, mort sur la route (malheureusement pour eux, ils aiment la chaleur du macadam !). En revanche, nous avons la chance de tomber sur un « bobcat », sorte de chat sauvage avec une toute petite queue et de belles oreilles en pointe noire comme les lynx. J’adore ces moments inespérés où la nature nous fait de si beaux cadeaux. Et puis dans la vallée, dans le bus qui nous ramène à notre point de départ, nous tombons même sur un ours qui marche sur le côté. Il a un gros collier de géolocalisation. Il doit y en avoir beaucoup des ours par ici. Les poubelles sont partout fermées avec des mousquetons ou des systèmes destinés à empêcher les ours de venir se servir. Dans la nature, ils sont inoffensifs et auront davantage peur de nous que l’inverse. Mais la présence de nourriture « facile » peut vite les faire se rapprocher des hommes et devenir agressifs. Nombreux sont les panneaux de signalisation qui demandent de réduire la vitesse en voiture dans le parc. Un ranger m’indique qu’un ours a été tué par une voiture pas plus tard que la semaine dernière.

En même temps, je reste totalement agacée de la politique du parc vis-à-vis des voitures. Pour pouvoir entrer dans le parc sur une période d’une semaine, une voiture (peu importe le nombre de passagers) doit payer 35$, tandis qu’un vélo ou un passager d’un bus collectif devra en payer 20$.  Quelle est la logique ? Le parc cherche-t-il vraiment à limiter la voiture, la pollution et le risque de renverser des ours ? A quoi ça sert de conserver des parcs magnifiques pour y laisser entrer tellement de voitures que des bouchons se créent sur des kilomètres au beau milieu de la forêt…

Préserver la nature. Une balade à la découverte d’autres séquoias géants nous apprend l’histoire ironique de leur conservation. En 1864, le président Abraham Lincoln, amoureux de ces séquoias géants (de son petit nom latin Sequoiadendron giganteum), décide de classer leur lieu d’habitat. Pendant plus de 100 ans, des efforts considérables sont faits pour protéger ses géants, notamment du feu. En vain, le géant disparait. Ce n’est que plus récemment, par une observation peut-être un peu plus humble de la nature, que les conservateurs ont compris le rôle du feu dans la croissance du géant. Après le passage des flammes, dont les géants millénaires savent se protéger par leur écorce très épaisse, les espaces nettoyés de végétation deviennent un terrain fertile pour la germination de graines de futurs géants. Désormais, par biomimétisme, des hommes brûlent la forêt pour sauver les géants. Ce sont des forces de la nature qui ont su et sauront encore incroyablement s’adapter à leur environnement, pourvu que l’homme ne viennent pas le dérégler trop rapidement.

Pour notre dernière journée, notre balade nous emmène dans un environnement encore différent, cette fois au bord d’un lac et d’une végétation verdoyante, entre prairies fleuries et forêts de pins. C’est tellement bucolique. Des libellules bleues ou rouges virevoltent par centaines ou sèchent au soleil. Une marmotte joue à cache-cache, tandis qu’un garden-snake (inoffensif) déguste une grenouille. Nos sens sont pleinement en éveil ! Les pieds dans l’eau glacée et transparente, nous voyons de l’autre côté du lac de jeunes cervidés venir se désaltérer. Nous avons même le plaisir un peu plus tard de les observer de près, dans un silence total, sans être vu. Sur les sommets au loin, il y a encore un petit peu de neige.

Nous quittons le parc Yosemite et ses écosystèmes incroyablement variés pour rejoindre la côte et la région de Big Sur. Nous n’irons pas visiter la Vallée de la Mort plus au sud qui nous aurait bien tenté. Halle nous en avait dissuadé : « A cette période de l’année, vous êtes fous, vous allez mourir ! C’est en février qu’il faut y aller. Déjà en mars, il commence à faire trop chaud ! » L’autoradio de la voiture diffuse un mélange de pop commerciale, de country (oui, les américains écoutent toujours beaucoup de country !) et de musique festive mexicaine. Le thermomètre de la voiture grimpe dangereusement à mesure que nous nous éloignons de Yosemite et nous retrouvons dans les immenses plaines. Nous traversons des paysages uniformément jaune paille. Un coin d’Amérique profonde avec d’immenses propriétés, d’immenses ranchs. Le bétail qui se mange peut tranquillement paitre dans de grands espaces. Les vaches laitières quant à elles sont entassées devant des mangeoires en plein soleil. Plus pratique pour la traite. Je repense à Temple Grandin, l’américaine autiste qui a fait du bien-être animal un de ses combats. Cela ne semble pas être la priorité par ici. Un peu plus loin, une odeur très forte de poulets dans l’air. Des hangars fermés et ventilés… Il faut nourrir les mégalopoles voisines, San Francisco et Los Angeles…

Une petite faim… Et bien justement, sur la route, des affiches indiquent « Casa de fruta ». Je me lèche les babines à l’idée de manger une bonne salade de fruits. C’est vrai, ici, avec un petit peu d’eau, tout pousse et surtout tous les fruits d’été. Sauf que nous arrivons dans une espèce de Disneyland du fruit transformé et surtout du sucre. On est loin du petit producteur local. Ici, la norme est plutôt de produire des fruits à grande échelle, avec des systèmes d’irrigation professionnels, des plantations en rang d’oignon arrosées de produits chimiques et la main d’œuvre mexicaine. Nous découvrons tristement l’omniprésence de la viande dans tous les plats proposés du restaurant, exception faite du burger où le steak peut être remplacé par une imitation végétarienne dégoutante. Quand même, Casa de fruta et même pas de salade de fruits ! Arnaque totale au pays du burger.

Nous arrivons sur la côte en fin d’après-midi et nous dirigeons vers les campings les plus rustiques (les moins chers) que nous avions repérés. Nous nous heurtons à une différence culturelle que nous n’avions pas anticipée. Nous sommes le week-end qui suit la fête nationale. Avec leurs deux semaines de congés payés par an, nous tombons LE week-end à la plus forte influence. Même les campings sans réservation sont pleins. Epuisés par la route, nous sommes écœurés de recevoir des refus alors même que nous voyons des emplacements géants habités d’une simple mini tente. Nous n’avons pas la même conception de l’espace de camping, ni peut-être du partage. A 9 heures du soir, nous plantons notre tente dans un camping minimaliste au bord d’une petite rivière tout là-haut dans la montagne après près d’une heure de routes serpentées et dangereuses. Heureusement qu’un gentil monsieur adepte de la survie dans la nature nous accepte pour voisin. Le lendemain de bonne heure, nous redescendons vers la côte, à la recherche d’un emplacement pour les prochains jours. Après une mauvaise expérience avec les gérants d’un camping (première fois de tout le voyage que j’en viens à me faire insulter. Moi ! A non, je me suis aussi faite insultée gratuitement à San Francisco par une femme qui avait l’air dans le besoin et qui visiblement n’avait pas toute sa tête et à qui j’avais gentiment proposé les fraises du marché que j’étais en train de grignoter – f***ing America ! –), nous trouvons enfin un emplacement dans un camping aux gérants adorables, en bord de plage, ouf ! Nous pouvons enfin profiter de nos derniers jours sereinement…

La côte de Big Sur nous avait été conseillée pour son côté nature vierge. Effectivement, cette côte contraste avec celles plus au nord très urbanisées. Les roches abruptes se jetant sur l’eau rendent les constructions difficiles. Nous commençons mon jeu favori, chercher des « sand dollar », dollar des sables, des pièces de monnaies oubliées par des sirènes. Il s’agit en fait d’un oursin plat dont le squelette, une sorte de palet blanc-gris avec une feuille de cannabis à 5 branches gravée sur le dessus, vient s’échouer sur les grandes plages de sable fin. Il faut être très chanceux et se lever de bonne heure pour en trouver un… A moins de tomber sur la bonne plage, ce que nous découvrirons le dernier jour ! Un peu de repos à la plage bercée par le roulis des vagues me fait un bien fou. Les pieds dans l’eau, et seulement les pieds tant l’eau est glacée et les vagues menaçantes, nous foulons les plages de sables en long et en large. De grands pélicans occupent un rocher au sommet blanc de fientes. Des algues, telles des lianes de plusieurs dizaines de mètres ou alors telles de grandes palmes ou encore des boules de noël, viennent sécher au soleil pour le plaisir des mouches et autres insectes de sable. A certaines périodes de l’année, leur partie supérieure est récoltée en mer pour des usages pharmaceutiques ou alimentaires. Nous constatons tristement chaque jour des centaines d’abeilles qui viennent mourir sur la plage. Est-ce normal ? Mes recherches sur internet ne m’apportent rien de bien concluant, les articles des sites américains se préoccupant surtout du danger de se faire piquer sous les pieds par ces abeilles… Une explication serait la fatigue des abeilles qui prennent le chemin le plus court sur le retour vers leur ruche et se retrouvent bloquées sur la plage à cause de la bruine salée qui colle sur leurs ailes. Mais ce fait me parait revêtir un caractère trop inhabituel pour être de cause tout à fait naturelle. Une autre explication trouvée est bien sûr les pesticides… Une autre fois sur la plage, nous tombons sur un phoque mort en train de se faire dévorer par des vautours, nettoyeurs des plages. Tout un écosystème…

Pourtant, à peine éloignés de la plage, nous découvrons des biotopes totalement différents. Notre camping s’est implanté au début d’une forêt dense, fraîche et humide abritant certains spécimens de séquoias géants. Notre balade à la recherche de la cascade nous amène à découvrir une ancienne carrière de roche calcaire de la fin du 19ème siècle. De grands fours abandonnés destinés à chauffer la pierre pour la purifier. Le calcaire était ensuite transporté plus au nord pour servir de base au béton des villes florissantes. Il leur a fallut seulement 3 ans pour extraire tout le calcaire et raser une bonne partie de la forêt pour alimenter les fours. La destruction des ressources naturelles par l’Homme est tellement rapide comparée au temps nécessaire à la renaissance de la nature… C’était il y a plus d’un siècle, et force est de constater que l’Homme a du mal à apprendre de ses erreurs. Heureusement, la nature est un exemple de résilience. Le petit cours d’eau qui fait suite à la cascade nous offre de petites piscines d’eau claire et des espaces plus sauvages avec des arbres et branches recouverts de mousse qui se décomposent lentement et en désordre sur le sol.

Lorsque nous prenons ne serait-ce qu’un tout petit peu de hauteur et nous écartons des cours d’eau, nous découvrons très vite un environnement complètement différent. De la sécheresse, du sable et des roches, des plantes grasses, des cactées aux immenses fleurs, des lézards et des serpents. Autant le bord de mer est balayé d’un vent très frais, autant nous étouffons quelques centaines de mètres plus loin dans les terres hautes. Comme à Yosemite, je reste fascinée par ces milieux tellement hétérogènes et si proches les uns des autres. Quelle richesse !

Nos provisions de bons produits de la ferme s’épuisent sérieusement. Nous nous tournons vers des options classiques de restauration. Enfin, du côté de Big Sur, la restauration classique se veut plutôt très chic et réservée à une clientèle en décapotable. Nous faisons quelques excès dont certains qui se justifient par la diffusion des matchs de foot.

Notre dernier soir, j’allume un feu symbolique. Nous brulons notre voyage pour mieux renaître de nos cendres.

Il est temps de regagner San Francisco où Brian, chez qui nous avions déjà logé à notre arrivée nous attend. Un tatouage plus tard et une nouvelle balade sur une colline boisée qui nous offre un dernier panorama de la ville, et nous voilà en train de la survoler, prêts pour 10 heures de vol en direction de Paris.

On nous avait prévenu : « attention au coup de déprime du retour de voyage ! » Notre arrivée à Paris s’accompagne de la grisaille urbaine, de la chaleur dans les transports et d’un ralentissement dans le métro pour cause de colis suspect. Le retour auprès des amis parisiens accueillant nous donne l’impression d’avoir quitté la France la veille. Ils nous trouvent bronzés, nous les trouvons un peu pâlot il faut l’avouer. Pourtant, quelque chose a changé pour moi. J’ai pris de la distance avec un quotidien consumériste parfois tellement envahissant qu’il cloue les gens sur place, anesthésie leurs rêves et leurs questionnements. On ne cesse de nous dire à quel point nous sommes courageux d’être partis. Nous incitons tout le monde à faire de ses rêves une priorité au quotidien, même si ce n’est pas facile. Des questions : notre lieu préféré, ce qui a été le plus difficile, l’endroit où on mange le mieux, le plus beau paysage, la plus grosse galère, comment nous avons géré la barrière de la langue… J’écris ma 139ème page. Comment dire ? Comment décrire tant de prises de conscience, tant de rencontres, tant de sourires et d’embrassades, tant de paysages, de galères et de dépassement de soi, tant de découvertes sensorielles, tant d’humanité ? Est-ce que nous avons ramené des souvenirs ? Matériels, très peu. Dans la tête, des milliers. Les souvenirs, ça se digère et se réinterprète en permanence au fur et à mesure du temps. Mes réponses d’aujourd’hui ne seront surement pas celles de demain. Cette aventure, nous l’avons construite à deux. Mathieu et moi avons chacun avancé dans notre cheminement intérieur et celui qui nous lie au monde. Notre lien à tous les deux s’est aussi renforcé de mille et unes expériences marquantes, de confiance mutuelle, de connaissance de l’autre, de tolérance et de respect. Cette aventure à deux m’a tellement apprise. Merci Mathieu de m’avoir accompagnée dans ce si beau voyage.

A nous maintenant de construire un quotidien un petit peu plus sédentaire et tout autant excitant et riche en apprentissages et en amour. Et puis nous n’avons pas fini de rêver…